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du Bahr-et-Ghazal, que les Anglais, depuis qu’ils nous en ont évincés, n’ont pas même pu occuper et qu’ils semblent abandonner aux Belges, de l’Etat libre ; elle laisse nos possessions sans frontière naturelle, puisqu’elles s’arrêtent à une « ligne de partage des eaux » absolument indécise, purement imaginaire ; surtout, elle est néfaste, parce qu’elle éloigne du Nil et prive d’un débouché indispensable nos colonies du Congo et de l’Oubanghi, parce qu’elle nous exclut du Soudan nilotique et nous écarte de l’Ethiopie d’où l’on domine toute l’Afrique centrale. Or, en Afrique, ce, n’est point l’étendue des territoires qui importe surtout, c’est le moyen d’y pénétrer, de les mettre en valeur, d’en faire sortir des marchandises ; ce ne sont point les immensités stériles, mais les cantons fertiles et salubres, trop rares dans le continent noir ; ce n’est point le nombre des royaumes vassaux, c’est la mainmise sur quelques points essentiels, d’où l’on commande toute une contrée, c’est la possession de quelques débouchés indispensables, de quelques carrefours de routes où converge tout le commerce d’une région. Fachoda est un de ces Gibraltars continentaux.


VI

Jusqu’à ces dernières années, l’Europe, et particulièrement la France, ignorait ou méconnaissait l’Ethiopie et la place qu’elle tient dans le monde : Adoua et Fachoda ont dissipé tous les préjugés, détruit toutes les illusions. L’importance de l’empire de Ménélik ne peut échapper aujourd’hui à aucun homme d’Etat informé ; il ne lui manque plus, pour participer au grand courant de la vie « civilisée » et devenir l’un des principaux marchés de l’Afrique que de communiquer librement et rapidement avec la mer et avec l’intérieur. Le chemin de fer qui s’ouvrira très prochainement de Djibouti à Harrar va lui en donner le moyen ; l’inauguration, déjà partiellement faite, de cette ligne nouvelle est pour l’Abyssinie un événement capital, qui modifiera le cours de son histoire et aura une profonde influence sur ses destinées. Pour la France aussi, la nouvelle voie ferrée doit devenir la source d’avantagés politiques et économiques considérables, car elle part d’un port français, Djibouti, et ne quitte pas ce territoire français avant de pénétrer sur les terres de Ménélik. C’est donc la France qui ouvre enfin à l’empire des négus cette fenêtre