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alors qu’ils sont des liens ; nous comprendrons que ce grand bassin de l’Océan Indien sert de trait d’union entre les principales provinces de l’empire britannique : Australie, Inde, Afrique ; il est le centre d’où rayonnera sur le monde, d’un éclat renouvelé, la suprématie anglaise.

L’Ethiopie indépendante est un obstacle à la réalisation de ces grands desseins : son année, nombreuse et aguerrie, retranchée dans une citadelle naturelle, domine et commande cette route du Cap au Caire où doit passer à toute vapeur la « civilisation » britannique. L’Ethiopie, d’ailleurs, est une partie du bassin du Nil ; nulle domination n’est en sécurité en Égypte, si elle ne tient le massif abyssin, d’où descendent deux des affluens principaux du grand fleuve. Dominer l’Abyssinie, ou tout au moins la tourner, l’enclaver, la réduire à l’impuissance, la morceler, la couper de la mer et l’empêcher de s’allier, le cas échéant, à une puissance ; européenne, c’est le plan obligé de la politique impérialiste. Les tentatives passées, les opérations d’approche déjà ébauchées, ont jeté une lumière trop vive sur ces projets pour que l’on puisse douter de leur réalité ; leur exécution définitive n’est que suspendue aujourd’hui, le temps de supprimer, dans le Sud-Afrique, un autre obstacle, un autre État libre, de maîtriser un autre massif de montagnes. L’héroïsme et l’obstination inattendue des Boers, l’apparition subite du spectre chinois, ont éloigné des frontières de Ménélik tout péril immédiat ; mais « l’impérialisme » n’abandonnera pas de bon gré des plans depuis si longtemps préparés et dont le succès lui semble indispensable à la vie même de la « plus grande Bretagne. »

Ce que l’Angleterre a osé contre les Boers, quel scrupule l’empêcherait, si elle réussit, de le tenter contre les Ethiopiens ? Depuis longtemps, le grand mouvement tournant qui doit isoler l’empire du Négus se dessine : aujourd’hui, il est achevé. Sauf sur un petit point, — d’importance capitale, il est vrai, — où la France, par Djibouti et Obok, touche à l’Ethiopie et lui offre une porte de sortie sur la mer, l’Angleterre et l’Italie étreignent de toutes parts les États de Ménélik. Tout le long de la Mer-Rouge l’Italie étend sa colonie de l’Erythrée et même elle prend pied sur le plateau et possède une partie de l’ancien empire axoumite. Au nord, la forte place de Kassala commande toute la vallée de l’Atbara : conquise, puis défendue contre les