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conjonction étroite des menées italiennes en Erythrée et anglaises sur le Nil. Le passé éclaire pour lui l’avenir et, comme le passé fut plein de périls et de pièges, l’avenir lui apparaît gros de menaces.

Que les inquiétudes patriotiques du Négus soient justifiées, la rapide revue que nous avons faite des dernières années de l’histoire éthiopienne suffirait à le prouver. Les signes précurseurs des tempêtes futures peuvent aisément s’apercevoir et, au risque de nous répéter, il est nécessaire de nous arrêter encore à discerner et à coordonner ces indices. — En Afrique Orientale, comme sur tous les rivages du globe, l’impérialisme britannique menace la paix du monde : conquérant par nécessité économique, par le besoin incoercible et vital de débouchés nouveaux pour les produits d’une industrie, toujours grandissante, ce n’est qu’en Afrique qu’il peut trouver à satisfaire ses appétits. Il n’est plus aujourd’hui nécessaire de démontrer quel intérêt, primordial pour l’avenir de l’Angleterre, exige que le continent noir soit à elle « du Cap au Caire ; » l’explosion de « jingoïsme » qui a suivi en Angleterre l’apparition d’une troupe française à Fachoda, l’âpre acharnement qui déchaîne toutes les forces de la Grande-Bretagne pour supprimer de la carte du monde les deux petites républiques sud-africaines, ont dessillé les yeux de ceux-là-mêmes qui s’obstinaient à croire ; au « libéralisme » de cette immense maison de commerce qu’est l’Angleterre moderne. La conquête des Indes africaines est depuis longtemps décidée dans les conseils des hommes d’Etat de tous les partis. Qu’on ne le perde pas de vue, en effet, ce n’est pas seulement la domination de l’Afrique Orientale qui est en jeu, c’est le maintien même et la durée de l’empire britannique ; ce n’est pas seulement pour remplacer l’Inde, si quelque catastrophe politique, ou même son propre développement économique, achevaient de lui en rendre le marché moins accessible, que les Anglais ne peuvent se plisser de l’Afrique, c’est encore et peut-être surtout pour conserver l’Inde elle-même. Que l’Océan Indien achève de devenir un lac britannique, et il sera facile, en cas de danger sur un point quelconque de ses rivages, d’y transporter rapidement l’une des armées aguerries et bien équipées qui ne quitteront plus désormais l’Afrique du Sud et le Soudan et dont l’organisation va s’achever et se compléter après la guerre actuelle. Dégageons-nous pour un moment de nos vieilles et absurdes conceptions qui divisent le monde en « parties » et font des océans des barrières