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amour est un acte intellectuel par lequel notre entendement, attiré vers la Beauté, aspire à créer une Beauté nouvelle. L’Amour trouve l’âme dans un état d’inertie. Puis, la frénésie amoureuse produit un mouvement, un élan vers l’objet aimé. Et le troisième état, l’état final, c’est l’extase où l’âme s’arrête et se repose.

Un des points importans de la doctrine, c’est l’identité du Beau et du Bien. Or, de même que la laideur n’est que la négation, la privation du Beau, de même le mal n’a point d’existence en soi ; il est l’envers du Bien, il est le Bien mal compris, mal placé, cherché où il n’est pas ; et de là découle une morale douloureusement indulgente. C’est l’amour, qui, après avoir paru nous égarer, nous remet sur la voie. Sa fonction est universelle, et incessante. Logique, histoire naturelle, science et politique, il embrasse tout. Pendant que l’instinct affirme, que la raison doute ou nie, le rôle de l’Amour est de réconcilier toutes choses et de créer l’harmonie.

Telle est, dans ses linéamens principaux, cette philosophie de l’amour. Shakspeare dut la connaître, et c’est par les sonnettistes italiens, dont on lui traduisit la pensée, qu’il recueillit quelques miettes du banquet de Platon. Un des premiers effets de cette philosophie est de réhabiliter l’amitié, de l’élever au-dessus de tous les sentimens humains. Elle prend naissance à l’occasion de la Beauté physique, qui nous prépare à admirer la Beauté ; morale, et ne doit jamais en être séparée. Mais aucun désir impur ne trouble le culte rendu à la beauté de l’ami. L’amitié est donc aussi supérieure à l’amour ordinaire que l’aine est supérieure au corps. « L’affection de l’homme pour la femme, lisons-nous dans le Wit’s Commonwealth, est chose vulgaire et commune ; celle de l’homme pour l’homme est infinie et immense. » Pour parler encore plus clairement, l’amitié est l’amour intellectuel, le mariage des intelligences. Et, à ce propos, comment ne pas rappeler, avec Dowden, la tendre amitié de Montaigne et de La Boétie, de Linguet et de Sidney, amitié que la mort exalta loin de la dissoudre ? Comment ne pas se souvenir, surtout, de ces beaux sonnets, cités par Richard Simpson, où, à près de soixante ans, Michel-Ange épanchait son âme d’artiste en adoration respectueuse pour la beauté du jeun » ! patricien, Dei Cavalieri ?

Après avoir montré de quelle doctrine et de quels sentimens s’est inspiré Shakspeare, M. Simpson, avec une patience