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la rouge estampille. Bonaparte aurait dit : « Ni bonnet rouge, ni talons rouges. »

Il travaillait énormément, s’était mis tout de suite à la besogne d’Etat. Les premières mesures prises furent des actes de réparation et non de réaction. L’horrible loi des otages, imposée par la faction jacobine, avait ressuscité dans quelques parties de la France le régime des suspects et en portait partout la menace ; Paris avait vu arriver des otages saisis dans d’autres départemens et arrachés à leurs foyers. Dans les derniers temps, les Conseils assagis inclinaient à supprimer ces rigueurs ; ils en parlaient beaucoup, sans aboutir. Le Consulat agit sans parler, donnant l’impression d’une autorité qui sait vouloir et fait vite ce qu’elle veut. En une seule journée, le 22, la proposition de rapporter la loi des otages fut envoyée par les Consuls aux deux commissions, adoptée par celle des Cinq-Cents, ratifiée par celle des Anciens, mise en forme de loi et promulguée. Bonaparte se rendit personnellement au Temple, prison d’Etat sous le Directoire, car la Révolution même constitutionnelle n’avait fait que déplacer la Bastille. Par son ordre et sous ses yeux, les otages furent mis en liberté : « Une loi injuste, leur dit-il, vous a privés de votre liberté ; mon premier devoir est de vous la rendre. » Il visita ensuite les autres prisons, cloaques infects, lieux de souffrance et d’épouvante, où se voyaient encore sur les murs des dessins tracés par les septembriseurs avec le sang des victimes. Il demanda la liste des détenus, qu’il interrogea et auxquels il promit justice ; partout où il passait, il faisait se lever une aube d’espérance.

Tout cela créait des sympathies, mais ne donnait pas de l’argent. En France, il n’y avait plus guère qu’une sorte de gens qui en eût : c’était le groupe des financiers parisiens, banquiers et fournisseurs, faiseurs d’affaires honnêtes ou suspects. Pour les avoir, il était nécessaire de leur donner un gage. L’impôt progressif de 100 millions sur les riches, impôt à tendances babouvistes, voté récemment par les assemblées directoriales et déguisé sous le nom paradoxal d’emprunt forcé, avait été spécialement dirigé contre ces « nouveaux riches » et pesait d’ailleurs sur toutes les classes, en terrorisant les capitaux qui alimentaient un reste d’industrie et faisaient travailler le peuple. Exaspérés de cette persécution, plusieurs fournisseurs avaient fait les fonds du coup d’Etat ; tous les hommes d’argent l’avaient souhaité et