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commerce et de petites gens. A neuf heures, devant l’édifice municipal brillamment éclairé, la colonne se forma dans l’ordre suivant : entre des détachemens de cavalerie et de grenadiers, entre des pelotons de garde nationale, les membres du comité de bienfaisance, les commissaires de police, les juges de paix, leurs assesseurs et greffiers, le commissaire d’arrondissement à cheval, flanqué des employés également montés, avec de nombreux porteurs de torches. Au bruit des tambours et des trompettes, tout ce monde se mit en marche, s’enfonça dans le dédale des rues boueuses, tandis qu’une foule de citoyens emboîtaient le pas et prenaient la suite. On suivit « la rue Laurent, le faubourg Denis, la rue Neuve-Egalité, des Petits-Carreaux, Montorgueil, de la Grande-Truanderie, Denis, de Bondy, de Lancry, Martin et du faubourg Martin ; partout une foule empressée et autour du cortège et aux croisées des maisons voulait entendre la publication, et semblait respirer par l’espoir du rétablissement de l’ordre et de la prospérité, par l’espoir du bonheur[1]. » Des acclamations continuelles retentissaient, mais le sentiment public faisait surtout explosion quand le commissaire lisait une proclamation où le gouvernement improvisé annonçait l’intention de procurer la paix, d’en finir le plus tôt possible avec la guerre étrangère, avec ce mal générateur de tous les autres ; la foule applaudissait aussitôt à outrance et faisait recommencer la lecture.

A bas les Jacobins, à bas les tyrans, et la paix ! voilà le cri à peu près unanime qui salue Brumaire. La paix par Bonaparte ! Cette association qui nous stupéfie aujourd’hui était au fond de tous les esprits, à raison des traits sous lesquels Bonaparte était entré dans l’imagination populaire. Parce qu’il était de son métier général irrésistible, parce qu’une première fois il avait conquis la paix sur terre à force de vaincre, on espérait que devant lui la coalition déjà ébranlée allait succomber et s’anéantir, qu’il pourrait refaire et compléter Campo-Formio, sans même avoir à renouveler Arcole et Rivoli. Le sursaut d’enthousiasme par lequel la France exténuée s’était remise debout pour acclamer le retour d’Egypte, c’était le recours à Bonaparte en tant que soldat : la nation lui déférait moins le pouvoir que le commandement, afin qu’il retournât à la frontière combattre et négocier glorieusement.

  1. Procès-verbal du commissaire près l’administration municipale du Ve arrondissement, document communiqué par M. Gustave Bord.