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— Un jour qu’il rentrait las de ses courses vaines, sa voisine aux aguets lui dit :

— Maître, une lettre est venue pour vous du Yoshiwara.

Et, après l’avoir complimenté selon l’usage, la commère, rougissant d’une honnête pudeur, les yeux baissés et le sourire aux lèvres, lui tendit sur son éventail un pli fermé où l’on avait écrit : « Nao-san. De la part de votre connaissance. »

La lettre était brève :

Je souhaite que vous vous portiez bien et je vous en félicite. J’ai trouvé quelque chose qui ressemble à ce dont vous m’avez parlé. Hâtez-vous.

— Je vais au Yoshiwara ! s’écria-t-il.

Et, pendant que sa voisine se retirait en félicitant avec beaucoup de révérences un si noble cavalier de ne point faire languir son amoureuse, il prit ses deux sabres, dont il eut soin d’éprouver le tranchant, puis enveloppa d’un morceau de soie la tablette funèbre de son père et la glissa dans sa large1 ceinture.

Le soir était tombé quand il atteignit le quartier des Fleurs. Aussitôt prévenue, Imamurasaki s’excusa près de ses hôtes et accourut.

— Vous êtes le bienvenu, Naô-san.

— Oïran, j’ai reçu votre lettre et vous en remercie.

Ils s’agenouillèrent sur des coussins, et, quand les bonnes qui leur servaient le thé stj furent écartées et rangées au fond de la chambre : — Hier soir, dit la jeune femme, un homme vint ici pour acheter ma camarade Tamasako. Dès que je l’aperçus, il me sembla reconnaître l’individu que vous m’aviez dépeint. Je lui demandai à quel prince il appartenait : il me confia que, rônin de Wakayama, il faisait son tour de Japon en qualité de maître d’armes. J’ai voulu savoir son nom. « Je m’appelle, répondit-il, Tsuruga Dennai. »

— C’est lui ! C’est bien lui ! s’écria Naô. Je m’étonne seulement qu’il n’ait pas caché son nom !

Et, emporté par la première ardeur de la vengeance, le jeune homme lançait autour de lui des regards furieux.

— Ne prenez pas cet air féroce,.. dit Imamurasaki. Comme j’avais encore peur de rue tromper, j’ai prié les servantes de Tamasako de le mener au bain, et là j’ai vu très distinctement sur sa poitrine la trace du coup dont votre honoré père l’avait cinglé.