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VOYAGE AU JAPON

VI.[1]
UNE HISTOIRE DE YOSÉ

Du temps où j’étudiais l’imagination japonaise à travers les théâtres et les vieux palais du Japon, ce fut dans un yosé de Tokyo qu’un soir d’hiver, j’entendis l’histoire d’Imamurasaki, fille du Yoshiwara. Agenouillé sur son estrade, entre un brasero où chauffait une bouilloire et sa petite tasse de thé, le conteur, qui se nommait, je crois, Sangenti Inshiô, enchanta son public et obtint un si grand succès que son récit parut, quelques jours après, dans un des premiers journaux du Japon. Mon interprète me le retraduisit, et, même sur ses lèvres, cette nouvelle me parut encore savoureuse et pittoresque.

Me suis-je abusé sur sa valeur ? A-t-elle besoin, pour nous émouvoir, des inflexions de la voix et du soulignement de la main japonaise ? Le diseur du yosé jouait à merveille de ses gestes et de sa figure. Il avait une façon de relever la tête qui n’appartenait qu’aux samuraïs, et nulle femme ne s’inclina jamais avec une modestie plus élégante. L’ironie, la colère, l’indignation, la mélancolie, la bravoure juvénile, la bonhomie douloureuse se succédaient sur son visage et semblaient même s’y entre-croiser, tant l’ardeur de ses yeux ripostait vite à l’impertinence de ses lèvres. Il ajustait sa voix et son accent à chacun de ses

  1. Voyez la Revue des 15 décembre 1899, 15 janvier, 15 mars, 15 septembre 1900 et 1er février 1901.