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spéciale auprès de Johannès, conclut avec lui un traité qui assurait à l’Ethiopie le pays des Bogos avec Keren et Kassala, et qui lui garantissait le libre transit, par Massaoua, des marchandises destinées aux États du Négus ou en provenant. Le Roi des rois, en échange, promettait son concours contre l’infidèle pour la délivrance de Khartoum. Ainsi l’Ethiopie semblait obtenir un double avantage : elle récupérait des provinces perdues, reprenait le contact avec la mer, et, en même temps, elle se trouvait libre de suivre son antique vocation et de s’armer pour la croisade héréditaire contre l’Islam. L’année suivante, en effet, le ras Alula battait à Kufeit les bandes d’Osman-Digma ; les derviches reculaient devant cet ennemi nouveau et redoutable, quand une diversion leur vint d’où ils semblaient n’être guère en droit de l’attendre.

L’année 1889 vit ce spectacle étrange : le négus Johannès, avec ses 100 000 soldats chrétiens, ne sachant à quel ennemi courir, des Italiens, alliés des Anglais et d’accord avec eux, qui envahissaient le Tigré, ou des derviches qui, remontant l’Atbara, menaçaient Gondar, et périssant, à la fin, dans le désastre de Metamma, sous les coups des musulmans, pour le plus grand profit des Italiens.

À la recherche d’une associée qui l’aidât à faire son jeu, qui disposât d’une armée capable de se battre, au besoin, pour elle sur la terre d’Afrique, qui, tout en travaillant résolument à l’accroissement de sa propre puissance, servirait en même temps les intérêts britanniques et coopérerait, même à son insu, à la réalisation des vastes desseins de l’Angleterre, le gouvernement de Londres rencontra, au moment même où s’éveillait sa nouvelle vocation coloniale, l’Italie de M. Depretis et de M. Crispi. Elle avait une année nombreuse, une flotte respectable sans être inquiétante pour la suprématie britannique, elle n’occupait par le globe aucun territoire : elle était bien l’alliée qui convenait à la Grande-Bretagne ; elle ferait sous sa tutelle et avec son agrément son apprentissage colonial. L’accord fut aisé : l’opinion publique italienne ne se consolait pas de l’occupation de Tunis par les Français ; en lui offrant comme compensation quelques conquêtes africaines, on donnerait à ses jalousies une satisfaction et à ses ambitions un dérivatif. En lin, à M. de Bismarck, qui ne se cachait guère d’être favorable à l’établissement du protectorat français à Tunis, ou montrerait volontiers qu’il y a place, en Italie, pour d’autres amitiés plus lucratives que celle de