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plus sincère, de plus anxieux, que leur déception et leur bonne volonté. C’est par leur cri d’inquiétude, c’est par leur loyal aveu que l’échec de leurs espérances a été connu. C’est par eux que le secours a été sollicité du personnel enseignant. Pour rendre vie à cet enseignement nécessaire et mort-né, M. Buisson écrivait : « Que tous ceux qui ont pensé à ces choses viennent ici en toute simplicité dire ce qu’ils ont trouvé au terme de leurs réflexions, et comme résultat de leurs expériences[1]. » Il convoquait une élite de maîtres et de penseurs à des réunions discrètes où l’on convenait du mal, mais non du remède. M. Pécaut cherchait « l’âme de l’Ecole, » égarant un mot de l’ancienne philosophie dans la nouvelle, et oubliant combien était étrange de donner à l’Ecole une âme, au nom d’un État qui refusait une âme à l’homme. Mais tous tendaient en vain leurs lèvres altérées vers cette morale de Tantale : elle fuyait toujours. Les jours sont devenus des mois, et les mois des années, et ceux qui la poursuivent, après bientôt un quart de siècle, demandent encore, toujours du temps. Du temps, comme les débiteurs insolvables ! Du temps, lorsque, c’est l’enfance, l’avenir, la patrie qu’on fait attendre ! Du temps, lorsque ceux qui espèrent de printemps en printemps la moisson sèment eux-mêmes la stérilité !

S’oublier, se vaincre, se sacrifier, voilà la morale. Pour obtenir de l’homme cette suite de prodiges, invoquer le patriotisme, la fraternité, la dignité, c’est-à-dire des vertus humaines, est pure pétition de principe. L’estime des hommes, quelle fumée ! On préférerait à ses plus impérieux penchans le suffrage d’étrangers, d’indifférens, d’inconnus, de ceux qu’il est si facile de duper par des apparences, et qui sans cesse se trompent eux-mêmes par la fausseté de leurs jugemens ! De quel prix est l’opinion des hommes à qui les méprise ? Un esprit exercé aux exigences de la méthode expérimentale ne tiendra-t-il pas l’affirmation que le sort de tous est solidaire pour le plus hasardé des paradoxes ? N’est-il pas plus aisé de prétendre et facile de prouver que la société est la contradiction des intérêts, que le bien des uns a toujours été le mal des autres ? S’il faut qu’il y ait des victimes, pourquoi se sacrifier plutôt que les sacrifier ? A supposer que la société soit un échange de services, pourquoi chacun n’essaierait-il pas de recevoir sans donner, puisque le dommage serait pour

  1. Correspondance générale de l’enseignement primaire, nov. 1894, p. 7.