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audacieuse à la Vie de Jésus. Le Christ y recevait, placé au-dessus de Socrate, l’hommage mêle de réserves qui est la justice pour les plus grands hommes, et l’auteur avait résumé sa pensée en ces mots : « La parole de Jésus est belle, sainte, elle n’est point parfaite. » M. Buisson s’était fait connaître en 1865 par son Christianisme libéral où la liberté prenait tant de place qu’il n’en restait plus pour le christianisme. MM. Buisson et Pécaut avaient suivi jusqu’au bout la logique d’élimination religieuse qui est dans la Réforme. Celle-ci, en soumettant la Bible à l’intelligence de chaque fidèle, a, dès l’origine, préparé la religion du droit individuel qui prétendit remplacer toutes les autres au XVIIIe siècle. Eux, avaient examiné, avec cet esprit du XVIIIe siècle, la religion du XVIe siècle. Entre les objections de Voltaire et les leurs contre la foi, il n’y avait de différence que le ton. Le XVIIIe siècle riait pour détruire et riait de détruire : eux, fils de leur temps par la tristesse, avaient accompli douloureusement leur œuvre de ruine. Dans la Bible, le châtiment de tout le genre humain pour la faute du premier homme, la vengeance de Dieu contre une créature faite par lui faible à la tentation, la nécessité d’un sacrifice sanglant et d’une victime sans tache pour apaiser cette rancune divine avaient révolté leur justice : leur première incrédulité s’était donc attaquée aux fondemens mêmes du christianisme et ne laissait plus debout en eux que la foi à la raison. Ou l’enseignement des Eglises affirme des vérités démontrables, et alors il a autorité non parce que les Eglises le révèlent, mais parce que la raison l’accepte ; ou cet enseignement ne porte pas la preuve de sa vérité et le croire sans preuve serait de la déraison. La preuve manquait non seulement que le Christ fût Dieu, mais même que Dieu fût. Ainsi ils étaient devenus négateurs non seulement de toute religion, de tout sacerdoce, mais même de la philosophie spiritualiste. Enfermés dans la vie présente, sans droit d’affirmer rien sur l’au-delà, ils étaient, par la nature même de leur intelligence, plus invinciblement hostiles à la religion qui, par le nombre de ses dogmes et par l’autorité de sa hiérarchie, impose à l’homme le plus d’obéissance.

La netteté tranchante des formules avait fait à ces jeunes négateurs une notoriété de scandale qui les avait rendus chers à la libre pensée, et les désigna au choix du gouvernement. Il était sûr qu’un enseignement dirigé par eux ne retomberait pas par la morale dans la religion. Leurs amis, leurs collaborateurs, ont