Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/562

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

biens de sa famille étant confisqués par arrêt, — fut recueilli par le frère de sa mère, qui se chargea de son éducation.

Cet oncle charitable avait nom Bernard Malinkroot. Entré de bonne heure dans l’Eglise, il avait fait rapidement sa carrière, et se trouvait alors chanoine dans le chapitre de Munster, dont, quelque temps après, il fut élu doyen. C’était un homme instruit et de quelque mérite, estimé pour ses mœurs, mais ambitieux, dominateur, jaloux de son autorité, aimant à déployer la vigueur de son caractère. Le pupille qu’il s’était choisi lui fut à cet égard d’un utile exercice ; jamais enfant plus difficile ne troubla de sa turbulence la demeure austère d’un chanoine. Dans ses démêlés quotidiens avec ses camarades d’école, sa fougue, son opiniâtreté, son courage emporté, le rendaient, dit-on, « formidable, » et ses accès de violence « faisaient trembler jusqu’à ses maîtres. » Il méprisait d’ailleurs, comme indignes de soi, les amusemens habituels de l’enfance, ne se plaisait qu’aux jeux dangereux et malfaisans, les batailles dans les rues avec les vauriens du quartier, les courses effrénées à travers les campagnes, le pillage des vergers et des basses-cours du voisinage. Est-il besoin de dire qu’en ces expéditions il était toujours chef de bande, et que nul à côté ; de lui n’osait élever la voix ? Les remontrances, les châtimens, les coups, tout échouait également devant celle humeur indomptable. Malinkroot cependant obtint ce résultat que Bernard, parmi ses folies, fit d’assez bonnes études : « Soit dissimulation, écrit l’un de ses biographes[1], soit qu’il aimât effectivement les lettres, il s’y appliqua pour de bon. » Comme il avait l’esprit ouvert, il en tira profit ; le témoignage de ses contemporains lui accorde une culture, une instruction solides, peu répandues à cette époque chez les gentilshommes de son rang[2].

Lorsqu’il eut terminé ses classes, Malinkroot le fit voyager, comme il était d’usage pour parfaire une éducation. Quelque obscurité plane sur toute cette période de sa vie. Ce qu’on en peut apprendre est que, pendant plusieurs années, il suivit le métier des armes, commanda même un régiment dans l’électorat de Cologne. Il guerroya quelques campagnes, y fit preuve de valeur, mais se dégoûta du service et revint à Munster, où il fût mort de faim sans l’assistance de son oncle et tuteur, qui,

  1. La Vie et les Faits mémorables de l’évêque de Munster, Leyde, 1679.
  2. Mémoires de Pomponne. — Correspondance de Luxembourg, aux Archives de la Guerre.