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d’une importance littéraire beaucoup plus restreinte ; et je ne crois pas que, parmi les jeunes auteurs qui viennent de se révéler au public russe depuis deux ou trois ans, aucun mérite d’être dès maintenant tenu pour un grand écrivain. Mais tandis que l’œuvre des mieux doués de leurs prédécesseurs, — l’œuvre des Korolenko et des Potapenko, des Tchekof et des Mamine, des Minski et des Volinski, — avait un caractère général de médiocrité qui empêchait qu’on y portât un véritable intérêt, il y a dans l’œuvre de ces jeunes auteurs quelque chose de vivant et de personnel, quelque chose qui leur appartient en propre, et qui, faute même d’autres qualités, suffirait à justifier leur prompte renommée. Tel est, du moins, le cas de deux d’entre eux, M. Maxime Gorki et M. Dimitri Mérejkowski. Ni l’un ni l’autre n’ont encore rempli le vide laissé dans les lettres russes par la disparition de Tourguénef et Dostoïewski : mais ils ont, l’un et l’autre, une physionomie qui ne ressemble à celle de personne de leurs confrères, russes ou étrangers ; et le plaisir qu’on éprouve en leur présence est d’autant plus grand qu’ils contrastent plus avec la grise et morne banalité de leur entourage.


M. Gorki a d’ailleurs une âme de poète ; et peu s’en faut que son œuvre ne soit vraiment belle. C’est une œuvre étrangement éclatante et sensuelle, pleine de bruit, de mouvement, de parfums et de couleurs, mais surtout animée d’un souffle fiévreux qui prête l’apparence de visions lyriques aux peintures les plus simples et les plus vulgaires. Soit que M. Gorki raconte les amours d’ouvriers des ports et de prostituées, ou qu’il décrive la vie des bohémiens errant sur les routes, on sent aussitôt qu’il ne songe pas à traiter ces sujets en romantique ni en réaliste, mais qu’il se laisse aller, devant eux, à son émotion de poète : et l’on sent que ces-sujets ont pour lui un attrait mystérieux, un attrait qu’il nous force à subir avec lui. Il a l’âme d’un poète, l’âme aussi d’un enfant. Et si c’était assez d’être original pour avoir du génie, jamais, certes, un écrivain russe n’aurait eu autant de génie que ce jeune homme qui, après avoir essayé de tous les métiers, après avoir pétri du pain et porté des sacs, après avoir vécu dans la compagnie des mendians et des saltimbanques, s’est un beau jour avisé d’écrire, et, tout de suite, a fait entendre à ses compatriotes une langue que personne avant lui ne leur avait parlée. Mais, avec toute son originalité, M. Gorki n’a point jusqu’à présent donné sa mesure. Le seul roman qu’il ait encore publié atteste une inexpérience dont, peut-être, il ne tardera pas à se corriger. Et ses petits récits eux-mêmes,