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mieux était de la faire courte. Toutefois, quand un écrivain a conquis parmi les auteurs dramatiques de son temps la belle place qu’a M. Brieux, et quand il est parvenu au rang où l’a élevé la Robe rouge, il a tort de livrer au public des œuvres d’un art aussi sommaire. Il nous met par là trop aisément à même de démêler ses procédés habituels et naturellement d’apercevoir ce qu’ils ont de défectueux.

M. Brieux s’est proposé de porter le fer et le feu dans toutes les plaies de notre société : c’est une mission généreuse et qu’il poursuit avec une conviction dont on ne saurait trop le louer. Il s’est attaqué déjà aux vices du corps médical et à ceux de la magistrature ; il a dénoncé la manie des brevets, la fureur du jeu dans les classes ouvrières, l’excessive facilité du divorce : il peut continuer, et ce ne sont pas les sujets qui manqueront : dépopulation, abandon des campagnes, alcoolisme, abus du tabac, que sais-je encore ? L’impôt sur le revenu, les grèves, la journée de huit heures, la tyrannie des syndicats, le krach du parlementarisme pourront attirer sa sollicitude inquiète. Sur ces diverses questions il se documente suivant la méthode que nous employons tous, quand nous voulons faire œuvre de vulgarisation et parler sans impertinence d’un sujet sur lequel nous sommes notoirement incompétens. Il se renseigne auprès des spécialistes, il consulte les statistiques. Puis il exprime sur la matière ce qu’on appelle des vérités de bon sens. C’est la méthode du journaliste obligé d’aborder tous les sujets à mesure que l’actualité les met sur son chemin. Ce n’est pas celle du moraliste. Celui-ci doit non pas accepter les questions qui se présentent, mais les provoquer et les faire naître. Il a son point de vue qui lui est particulier et d’où il découvre dans la société ce que d’autres n’y aperçoivent pas. Il a ses idées, justes fou fausses d’ailleurs, qui dirigent son observation, la concentrent sur quelques points et lui suggèrent ses conclusions. Alexandre Dumas fils avait ses idées, qui étaient, si l’on veut, des paradoxes, mais auxquelles il tenait. C’est pourquoi son théâtre a une portée sociale que n’a pas celui d’Augier. On aurait bien de la peine à dégager du théâtre de M. Brieux quelques idées qui seraient les siennes et non pas celles de tout le monde et qui donneraient à ce théâtre son unité.

A défaut de l’invention en morale, il reste l’invention dramatique : à vrai dire, c’est l’essentiel. Un auteur de théâtre serait fondé à soutenir qu’il s’est acquitté de son office propre, s’il a réussi à donner à des observations de morale courante la forme du théâtre. Quand M. René Bazin écrivait sa nouvelle de Donatienne, que n’ont pas oubliée les lecteurs de cette Revue, apparemment il ne se flattait guère de faire avancer