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aurait pas, m’a-t-on assuré, plus de trois cents qui eussent été distinguées par Sa Majesté. Bien que le roi soit maître absolu de faire comme bon lui semble en cette matière, il est cependant retenu par une certaine étiquette imposée par les usages. Ainsi il ne peut épouser que ses demi-sœurs ou parentes moins âgées que lui ; c’est ce qui explique comment la princesse, dont j’ai raconté plus haut les malheurs, son aînée de quelques années, n’a pu être élevée à la dignité de reine.

Les demi-sœurs du roi, étant filles d’un roi, les enfans nés de ces unions, que nos lois réprouveraient, sont qualifiés de princes célestes (chao fa) ; tandis que les enfans des concubines sont simplement princes (chao). Leurs mères peuvent être filles de princes du premier ou du deuxième degré, de dignitaires, de mandarins et même de bourgeois ; ils prennent rang dans les cérémonies officielles d’après leur âge, à la suite des princes célestes.

Quelle est la condition de ces femmes ? Question délicate assurément, car ces dames, préparées de bonne heure à l’existence qu’elles doivent mener, ne sauraient avoir le même sens moral, le même idéal que les femmes d’Europe. En effet, si un mandarin, un dignitaire trouve une beauté parmi ses filles ou celles de ses cliens, il la présente, avant l’âge de dix ans, à l’une des reines ou princesses du palais, et, si elle est acceptée, elle devient suivante de sa protectrice et doit rester constamment auprès d’elle. Elle grandit ainsi en âge et en sagesse, car les matrones sont là pour empêcher tout écart de conduite. Devenue jeune fille, elle est présentée au roi, et, si elle est agréée, son avenir est assuré ainsi que celui de sa famille, à la condition toutefois que la première impression royale ait quelques lendemains. Souvent cette impression est éphémère et la pauvre délaissée demande à retourner chez ses parens. Pour la plupart d’entre elles, la fortune ne commence que lorsqu’elles donnent le jour à un enfant royal. Alors, elles reçoivent une pension, des bijoux et tout l’attirail composant les insignes de leur dignité : boîtes à bétel, théières, crachoirs en or, etc. Elles ont une plus grande autorité pour intercéder en faveur de leurs proches. Le palais, toutefois, continue à leur servir de prison et, pour distraire leurs loisirs, elles jouent aux cartes avec leurs amies et leurs suivantes, elles brodent, lisent des romans, achètent des bijoux, que sais-je ? Habituées à cette existence depuis l’adolescence,