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vendémiaire, plaisant d’abord par la seule mélodie, ne l’est pas moins ensuite par l’accompagnement, fait de la mélodie elle-même, par la franchise et l’aplomb de la cadence finale ; mais tout ce premier acte enfin, pimpant et dégagé, sans embarras et sans bavure, donne l’impression légère, et parfois un peu classique, d’un perpétuel scherzo.

Le second acte vaut encore mieux. La fête foraine, sous les arbres du Mail, fourmille, — un peu trop peut-être, — de menus jeux de scène et d’incidens heureux. J’aime la ronde des jeunes filles taquinant une vieille femme, et la réponse de la vieille, où passe, — car ici rien ne fait que passer, — la vague mélancolie de Taven, répondant elle aussi aux magnanarelles rieuses. Je goûte bien davantage, toujours pour la précision et la fermeté classique, le boniment de Mondor. Ce n’est pas un des moindres charmes de la très moderne musique de M. Pierné, que ces brèves amorces de contrepoint et de fugue, ces étincelles de musique ancienne, qui pétillent à chaque instant.

Le dernier acte est à peu près rempli (que ne l’est-il tout à fait ! ) par la scène très vivante, très bien conduite et poussée jusque l’explosion finale, de la répétition. Elle forme une comédie dans la comédie. Aussi M. Pierné l’a-t-il traitée pour ainsi dire deux fois en musicien de théâtre ; c’est bien. Mais il l’a traitée également en musicien tout court, et cela n’est pas mal. En musicien d’autrefois, dans un style dix-huitième siècle qui retarde sur le nôtre, mais qui n’avance pas moins sur celui du temps. Il n’importe guère, et cette anticipation volontaire ne fait même qu’ajouter le piquant de l’anachronisme à celui du pastiche ou de la parodie.

Le point lumineux de l’ouvrage est la scène de la reconnaissance de Mondor et de Tabarin. Elle nous paraît du même ordre et de la même qualité, — la première, — qu’une des pages les plus exquises de M. Massenet, qui fut le maître de M. Pierné : le dialogue à mi-voix, à fleur de lèvres, et j’allais dire à fleur d’âme aussi, du chevalier des Grieux et de Manon sous les arbres du Cours-la-Reine. Mais, tandis qu’il ne s’agit dans Manon que d’un détail et comme d’une parenthèse, l’épisode ici forme le nœud de la pièce et le centre, ou le sommet, de la partition. La musique en est délicieuse de tout point et par chacun des élémens qui la composent : par le sentiment, ou la sensibilité furtive, et par le style ; par les réticences et les effusions ; par la vérité des mouvemens, des rythmes et de la diction ; par le mélange et l’alternance heureuse d’une déclamation toujours juste, d’une mélodie attendrissante sans banalité et d’un orchestre qui met un paysage au fond de ce joli tableau. Car la musique ici ne se