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des rois. Son évêché était une des premières duchés-pairies du royaume. Cet honneur, reste de ses anciennes gloires, lui suffisait, et elle se conformait à sa destinée étroite de ville de second ordre, sans issue ni vers la mer, ni vers les affaires, ni vers les grandes gloires.

Ses vieilles tendances religieuses et cléricales s’étaient développées en paix à l’abri de la paix royale. Elle avait couvert son sol étroit d’une forêt de clochers et d’églises. Des monastères nombreux et puissans, d’hommes et de femmes, s’étaient installés sur le plateau, sur la colline, dans les faubourgs, les bourgs et les villages environnans, et ces monastères, enrichis lentement par les largesses des dévots et par une longue épargne, avaient acquis, autour de la ville, presque toute la plaine, étalant leur richesse en bons biens fin soleil, dans le Laonnois, la Thiérache, le Chaunois, le Soissonnais, partout où il y avait de fertiles moissons à espérer et des dîmes à percevoir. Ces moines, d’ailleurs, étaient bonnes gens, plutôt coulans en affaires, se contentant, le plus souvent, de vieux baux à termes très longs, à taux très bas, indéfiniment renouvelés : avec cela, instruits, serviables, soucieux des pauvres, dépensant, dans le luxe des bâtimens, des hôpitaux et des maisons-Dieu le trop-plein de la richesse qui était venue s’amasser entre leurs mains. Il ne semble pas que les bourgeois de Laon, ni même les paysans de la campagne, aient fait trop mauvais ménage avec ces riches propriétaires et insatiables envahisseurs de biens immeubles qu’étaient les grands monastères laonnois.

Cependant, quand la dévolution éclata et remit dans la circulation ces immenses domaines, on n’en fut pas fâché, — naturellement. Les abbayes, déjà à demi entamées par l’esprit du siècle, se défendirent mollement. Souvent, leurs abbés ou leurs moines prirent, eux-mêmes, l’initiative d’entrer dans les idées Nouvelles ; et comme, d’autre part, il y avait peu de noblesse dans le pays, la lutte ne fut ni longue, ni violente. D’après les archives, l’histoire de la Révolution, dans cette région, fut surtout l’histoire des fêtes révolutionnaires : fédération, processions, banquets patriotiques, épanchemens officiels et oratoires. La transition d’un régime à l’autre se fit insensiblement, et la ville, ayant installé ses nouveaux services publics dans les vastes bâtimens laissés vides par les moines, n’eut qu’à continuer son existence monotone, un peu ranimée pourtant du