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espagnole se trouve donc dès maintenant élucidée avec beaucoup de netteté, et c’est un résultat dont on ne saurait trop remercier M. Martinenche. Nous ne méconnaissons pas notre dette envers l’Espagne, et, ce qui vaut mieux encore, nous en apercevons la nature et l’étendue. Comme l’écrivait naguère M. Morel Fatio : « On ne contestera pas que les Espagnols n’aient été pour quelque chose dans le majestueux épanouissement du siècle de Louis XIV. Nulle littérature moderne ne nous touche de plus près que la littérature espagnole, et, si nous lui avons beaucoup donné, elle nous a beaucoup rendu. Au XVIIe siècle, en nous envoyant son Cid, l’Espagne s’est en grande partie acquittée de la dette qu’elle avait contractée pendant le moyen âge envers nos auteurs de chansons de gestes, de fabliaux et de poèmes moraux. » D’Espagne nous est venu le romanesque, dont l’héroïque, le précieux et le burlesque ne sont qu’autant de formes. La Comedia a dirigé nos écrivains dans la découverte de la tragédie, et elle a failli les égarer dans la recherche de la comédie de mœurs. De notre côté, en la dépouillant de ses caractères trop particuliers, nous avons suivi la pente de notre génie, qui semble bien avoir été en tous les temps d’amener les idées et les nuances de sentimens nées hors de chez nous à la pleine lumière de l’humanité. Et enfin, cet exemple sert à illustrer la loi qui régit les rapports intellectuels des peuples. Certes, les emprunts faits à l’étranger sont légitimes et profitables, pourvu toutefois qu’au lieu de nous laisser étouffer sous les richesses importées du dehors, nous y voyions seulement la matière à laquelle nous imposerons notre forme, et pourvu que ces emprunts nous servent comme d’une occasion à manifester notre propre génie.


RENE DOUMIC.