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que trop abondante ; les valets de la comédie classique lui devront beaucoup de leur impertinence triviale et encombrante. Et, s’il reste jusque dans les meilleures comédies de Molière trop de souvenirs de la farce, trop de drôleries de tréteaux, trop de bas comique, c’est donc qu’il a recueilli une partie de l’héritage de Scarron, et qu’il a subi encore l’influence de ce burlesque dont il débarrassait la scène, au moment où il menait à bien sa difficile entreprise de faire rire les honnêtes gens. Par la complexité de l’intrigue romanesque, qui est une déformation de la réalité, la Comedia espagnole engageait notre théâtre dans une voie justement opposée à celle que devait suivre la bonne comédie. Elle était, non pas le moyen, mais l’obstacle.

C’est pourquoi, aux environs de 1660, la réaction était devenue nécessaire. Avec les dernières tragédies de Corneille, avec celles de Thomas, avec les comédies de Scarron, la Comedia espagnole triomphait. Au lieu que ses élémens fussent modifiés et atténués par le travail de notre esprit, ils s’étalaient dans leur crudité. L’esprit français ne s’assimilait plus les élémens étrangers : il n’avait donc qu’un moyen de se défendre contre eux, c’était de les rejeter. Telle est l’œuvre à laquelle s’employèrent nos grands classiques, avec la sûreté et la décision de leur goût. C’est Boileau qui déclare la guerre au burlesque, à l’emphase, aux pointes et aux grands mots. C’est Racine qui, persuadé que l’art consiste à faire quelque chose de rien, recule dans l’avant-scène les incidens dont jadis on surchargeait le drame, et, réduisant celui-ci à n’être que l’étude d’une crise de conscience, pousse plus loin qu’il n’a été donné à personne l’analyse des passions de l’amour. C’est Molière qui, parfois négligent jusqu’à l’excès de l’intrigue de ses comédies, n’aspire qu’à donner une peinture ressemblante de la société de son temps et des vices de notre nature. Grâce à eux, notre littérature accumulait, en quelques années, ces chefs-d’œuvre qui, en outre de leurs autres mérites, ont celui-ci, de nous offrir la plus pure image de notre esprit, la seule où on ne trouve aucun alliage d’élémens étrangers. Ce qui en France est national, c’est le réalisme entendu au sens complet du mot. Ce réalisme, qui tient compte de la nature tout entière, mais qui se réserve d’y faire son choix, et n’a en vue que l’art et la vérité, est aussi bien du goût de peu de gens. La foule réclame l’imprévu, l’extraordinaire, l’extravagant, et c’est pourquoi, chaque fois que notre esprit se lassera de l’observation juste et du bon sens, notre littérature s’empressera d’aller s’approvisionner en Espagne d’aventures et de fantaisie truculente.

La question spéciale des rapports de notre théâtre avec la Comedia