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il serait d’une suprême imprudence de commencer par ruiner le pays.

Mais où la commission semble totalement abdiquer, où elle se contente de timides suggestions, où elle est manifestement surprise par la nouveauté du problème et effrayée par sa complexité, c’est dans tout ce qui a trait à la question religieuse et, si l’on veut bien y réfléchir, réserve, surprise ou effroi sont parfaitement explicables.

On a quelque peine, sur le continent européen, à concevoir l’état d’esprit très particulier où se trouvent les Américains pour ce qui concerne les rapports des Eglises avec l’Etat. Lors de la guerre de l’Indépendance, l’élément puritain dominait dans les colonies britanniques : s’étant expatriés pour échapper aux persécutions religieuses, catholiques ou anglicanes, de la métropole, les protestans du Nouveau-Monde s’étaient constitués en communautés libres, accoutumées à se régir elles-mêmes et à subvenir à leur besoins par les cotisations volontaires de leurs adhérens. Quand il fallut signer le pacte fédéral, l’esprit qui animait les Américains à cet égard se manifesta, par l’interdiction formelle à la Confédération de faire aucune loi tendant à prohiber le libre exercice d’un culte quelconque ou à « établir » une Eglise, c’est-à-dire à lui conférer des privilèges. Quand on rédigea les constitutions locales, on refusa de même aux parlemens particuliers le droit d’édicter aucune préférence fondée sur la pratique d’une religion déterminée, ou aucune obligation pour les citoyens de payer un clergé. La liberté de la presse, celle des réunions et des associations ayant été stipulées par ailleurs, on eut ainsi le régime de liberté confessionnelle et de séparation des Eglises et de l’Etat le plus complet qui ait jamais fonctionné en aucun pays : l’Etat ignore véritablement les Eglises, toutes les Eglises sans exception, et les Eglises ignorent l’Etat ; aucune n’a d’existence administrative ; toutes, et elles sont nombreuses, sont le fruit spontané des énergies individuelles ; le catholicisme lui-même, qui s’est extraordinairement développé aux États-Unis dans le cours du XIXe siècle, tant par l’immigration irlandaise ou allemande que par l’incorporation dans l’Union de certains États du Sud, est né et a crû sous le couvert de la liberté, sans avoir jamais bénéficié de la protection séculière et s’imprégnant ainsi d’un caractère et d’une vitalité propres qu’on ne lui retrouve en aucune autre partie du monde.