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l’action théocratique ; la loi donnait au prêtre de paroisse l’accès du conseil municipal et le droit de proposer, concurremment avec le gouverneur civil de la province, les candidats aux fonctions de juge de paix ; elle faisait entrer les vicaires généraux et les juges ecclésiastiques dans le conseil provincial ; elle faisait siéger dans le conseil d’administration du gouvernement général non seulement l’archevêque de Manille, mais les supérieurs de tous les ordres religieux. Bureaucratie théocratique : tel était le système[1].

Il a donné les fruits qu’on en pouvait attendre. Les Philippins, sous le régime espagnol, avaient un budget de près de 70 millions de francs en recettes : 33 provenant des taxes directes, 23 des douanes, 5 des monopoles, etc. Aux dépenses, un million et demi passait à Madrid pour les divers services du ministère d’Outre-Mer et les consulats d’Extrême-Orient ; 3 et demi étaient affectés aux pensions de retraite et aux tribunaux locaux ; 6 au clergé, dont la moitié seulement pour les paroisses et les évêchés ; 20 à l’année, 12 et demi à la marine, 15 aux services civils, et 3 seulement aux travaux publics, la plus grosse partie de cette dernière somme servant d’ailleurs à payer du personnel. Et ce personnel qui, pour tous les hauts grades, venait d’Espagne, était si mal rétribué aux rangs inférieurs de la hiérarchie qu’il était condamné à chercher des ressources complémentaires dans des profits accessoires de nature plus que douteuse.

Que les Philippins aient fini par se révolter, cela se conçoit aisément ; qu’ils aient réclamé leur indépendance, cela encore est normal, puisque ce dont ils avaient surtout à se plaindre, c’était de l’abusive intrusion d’élémens étrangers à leur race dans leur administration intérieure et la gestion des impôts qu’ils payaient.

Ils ont tout d’abord donné à leurs revendications une forme révolutionnaire sans doute, mais parfaitement compatible avec le maintien de la souveraineté espagnole. L’expulsion des moines et la restitution de leurs biens soit aux communes, soit aux anciens propriétaires ; la tolérance religieuse ; l’égalité des Philippins et des Espagnols devant la loi et dans les fonctions publiques ; la liberté de la presse ; les institutions représentatives ;

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juillet 1897, l’article de M. Charles Benoist sur la Révolte des Philippines et les Mœurs politiques de l’Espagne, et, dans la livraison du 15 février 1899, celui de M. André Bellessort : Une semaine aux Philippines.