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il y a des déserteurs partout, dans le Midi plus qu’ailleurs. Ils sont la plaie de ce temps. C’est par milliers qu’on les compte, bien avant Thermidor. Après, ce sera pis, malgré les rigueurs exercées contre eux. A Bollène, dans le département de Vaucluse, ils assassinent en plein jour un vieux soldat de l’ancien régime, rallié à la Révolution, le général d’Ours, qui s’était offert, un lendemain de la reddition de Lyon, à laquelle il avait contribué, pour les l’amener au devoir. Partout où sont commis des excès, on est sûr de les rencontrer. Aux insurrections ils fournissent des complices : assommeurs, égorgeurs, chauffeurs, Compagnons de Jésus, Barbets, Compagnons du Soleil, Causes noires, Vengeurs de la nature outragée. Ils contribuent à donner aux royalistes révoltés des mœurs de brigands.

C’est eux et les malheureux que leur exemple a promptement pervertis qu’on voit envahir les petites communes, le visage masqué ou barbouillé de suie, arracher les arbres de la liberté, piller les fermes dont ils assassinent les habitans : c’est eux qui pénètrent la nuit chez les anciens terroristes, les attachent au pied d’un lit, allument du feu entre leurs jambes ou promènent sur leur ventre une pelle rougie à la flamme pour les obliger, avant de les assommer, à révéler où ils cachent leur argent ; c’est eux, enfin, qui arrêtent les diligences, dévalisent les voyageurs et mettent à sac la malle-poste. La politique ne leur est qu’un prétexte. Mais ils sont nécessairement les soldats désignés aux meneurs des soulèvement, aux artisans de révoltes. Ils excitent les ruraux, qui n’ont pris les armes que pour renverser la République, restaurer l’ancien régime et rendre sa couronne au Roi. En se mêlant à ces victimes de la Terreur, à tous ces braves gens ruinés, spoliés, écrasés d’impôts et de réquisitions, empêchés d’exploiter leur industrie, de labourer leurs champs, d’en vendre les produits et déshabitués du travail paisible et fécond, les déserteurs achèvent de les démoraliser. Ils déshonorent ainsi la cause dont ils se disent les défenseurs.

De ces bandes, qui se sont donné pour signe de ralliement une petite plaque de fer-blanc ou d’étain, à la doublure du gilet, il ne faut attendre aucune pitié. La Terreur a tué : elles tuent. Dans un seul département, la Haute-Loire, quarante individus succombent, en quelques semaines, sous leurs coups, qui ne sont nulle part plus meurtriers que dans ces sauvages Cévennes, où ne sont oubliés ni les souvenirs du camp de Jalès, ni ceux des guerres