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Mémoires inédits. Mais Louis Blanc, qui l’a su, s’écrie à ce propos : « La France ne tarda point à expier cruellement, l’arrêté qui subordonnait à un homme par qui elle était trahie le modeste, l’illustre vainqueur de Wattignies et de Fleurus. »

L’éminent historien se serait épargné ce regret, s’il avait pris la peine de consulter les Archives du dépôt de la Guerre. Il y aurait appris que l’arrêté qu’il déplore ne fut pas exécuté, par suite du relus de Pichegru d’accepter le commandement suprême. Le 5 octobre, rendant compte au Comité d’une conférence qui avait eu lieu la veille à son quartier général entre lui. Jourdan et les représentans du peuple, à l’effet de se concerter sur les opérations, en vertu des ordres reçus, le commandant de l’armée de Rhin-et-Moselle s’exprimait comme suit :

« Quel que soit jamais le rapprochement des deux années, je regarde comme impolitique d’en réunir le commandement tant que dureront surtout le concert et la bonne intelligence qui ont toujours régné’ entre le général Jourdan et moi. Au surplus, si le Comité persiste dans son intention à cet égard, je déclare d’avance qu’il doit jeter les yeux sur un autre que moi pour exercer un commandement qui se trouve infiniment, au-dessus de mes forces et de mes moyens. La guerre, en affaiblissant les ressorts physiques de tous ceux qui la font, altère aussi les facultés morales de ceux qui la dirigent par un travail et une tension continuels que l’inquiétude et les soucis rendent infiniment pénibles. »

Devant ce refus catégorique, le Comité de Salut public n’insista pas. Il renonça à faire exécuter son arrêté. Chacune des deux armées conserva son autonomie. Louis Blanc n’en a pas moins affirmé un fait matériellement faux, dont, dans son ardeur à défendre Jourdan, il a tiré des conclusions accablantes pour Pichegru. Il en est souvent ainsi dans cette douloureuse aventure. On dirait que la mauvaise foi et l’erreur s’y sont donné rendez-vous pour dénaturer la conduite militaire du général. Ses accusateurs, cependant, ne sauraient invoquer ici les argumens qu’ils peuvent tirer des obscurités dont reste enveloppée ce que nous appellerons sa conduite politique, c’est-à-dire l’histoire de ses rapports avec Condé.

Ce qu’ont été au juste ces rapports, nous ne le savons que par Fauche-Borel et ses acolytes, et tant de fois nous les avons surpris en flagrant délit de mensonge qu’aucune de leurs affirmations ne nous inspire confiance. Tout y est louche, suspect et