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caractères dont l’un symbolisait le ver luisant, l’autre la neige. Réunis, ils signifiaient « ardeur pour l’étude. » Ne vous en étonnez point : deux étudians chinois vivaient, jadis aussi pauvres et dénués que notre Amyot qui, les soirs d’hiver, déchiffrait ses ailleurs grecs sous le lumignon d’une Madone de carrefour. Le premier enfermait des lucioles dans un sac de papier et travaillait à leur lumière ; le second méditait ses classiques aux lueurs de la neige amoncelée sur sa fenêtre. Mais une langue, dont les étymologies sont ainsi des emblèmes et les signes des rébus, détermine invariablement chez ceux qui la possèdent d’inflexibles images et les enfonce dans une sorte de fétichisme intellectuel où meurt toute invention.

D’ailleurs, je ne nierai point que son absence même d’individualité ne nous rende souvent, la fantaisie japonaise plus avenante, plus accessible, plus hospitalière. Ce monde fermé de vibrations lumineuses et sonores qui se transmettent d’âge en âge sans rien perdre de leur fraîcheur ni de leur éclat répand sur ses moindres enfans une diffusion de ; grâce involontaire et de poésie inconsciente dont l’étranger, toujours tenté d’en faire honneur à l’individu, jouit et s’émerveille. Tout le Japon se reflète en chacune de ses âmes. Un hôte vous accueille et c’est la race tout entière qui vous salue, vous sourit, vous ménage à l’impromptu des surprises héréditaires. Son imagination a la constance des souilles alizés ; ses inventions et artifices, la régularité des phénomènes naturels, et l’on ne s’en fatigue guère plus que de la nature même dont elle est directement inspirée.


Observateurs scrupuleux, les Japonais ont gardé cette ingénuité charmante que donnent les champs, les bois et les flots à ceux qui vivent de leur spectacle. Leur langue, si misérable en abstractions, est d’une richesse étonnante de locutions réalistes et prime-sautières. Et d’abord les onomatopées y fourmillent. Ils les graduent et les opposent en gens dont l’oreille est habituée à noter la valeur des bruits. On dira des tremblemens de terre. « Le gishi gishi n’est pas dangereux, mais au kara kara il faut déguerpir. » Ils se serviront du redoublement des mots pour exprimer la hâte ou la diversité. Leurs termes composés ne sont parfois qu’un raccourci d’impression vive : Tasogare « qui est cette personne ? » désigne le crépuscule, l’heure trouble où l’on ne reconnaît plus les figures. Le volubilis s’appellera Asagao « visage