Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/561

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avenir les effets de la fraude, mais ne les réparera pas dans le présent, sans compter que c’est la presque totalité des fournisseurs qu’il faudrait mettre en accusation, la longue incurie du Comité et ses complaisances intéressées ayant favorisé l’extension du vol dans des proportions incroyables.

Il en est ainsi de tout. En paroles, le Comité de Salut public a des remèdes pour tous les maux. En action, il ne remédie à aucun. La misère subsiste, l’indiscipline augmente. A la confiance qui pourrait seule exciter la valeur des soldats ont fait place un découragement, un dégoût dont les chefs de corps ne peuvent avoir raison que par des prodiges d’énergie.

Lorsque le Directoire succède à la Convention, Pichegru renouvelle ses réclamations et ses plaintes, demande des secours, démontre qu’ils lui sont nécessaires. Le Directoire lui répond par un aveu d’impuissance. Il ne peut rien tirer des autres armées, qui sont aussi en détresse : « Le Directoire ne se dissimule pas la crise dans laquelle se trouve l’armée de Rhin-et-Moselle. Il a donné au ministre de la Guerre l’ordre de la pourvoir de chevaux, de souliers, de capotes, et en général de tous les objets qu’il peut avoir à sa disposition. Mais il ne peut se cacher que les bonnes intentions de ce ministre se trouvent entravées par une foule d’obstacles accumulés, par la pénurie des moyens de tous genres, par la malveillance même et par la cupidité. » Au total, il autorise le général on chef à opérer des réquisitions, « en modérant dans l’exécution ce que ces mesures pourraient avoir de dur. » C’est en ces circonstances qu’a sonné l’heure d’agir et de combattre, et que les généraux Jourdan et Pichegru ont été invités à prendre leurs dispositions pour passer le Rhin, chacun de son côté, ainsi que d’ailleurs ils l’avaient proposé.

A propos de ce passage du Rhin, il n’est pas de dures appréciations que n’aient inspirées aux historiens de la campagne de l’an V les revers de Pichegru. Moins indulgens pour lui que pour Jourdan, qui pourtant ne fut pas plus heureux, ils ont attribué au commandant de l’armée de Rhin-et-Moselle la responsabilité des échecs de l’année de Sambre-et-Meuse. S’inspirant, sans les avoir soumises à un contrôle sévère, des dénonciations de Montgaillard et de Fauche-Borel, ils ont raconté que, durant cette campagne, l’inaction volontaire de Pichegru n’a jamais cédé qu’à des ordres péremptoires et qu’il n’a combattu que contraint et forcé, c’est-à-dire lorsqu’il ne pouvait faire autrement à moins d’avouer