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la contre-révolution que lorsqu’on sera sûr de l’opérer sûrement et promptement ; voilà quelle est ma devise.

« Le plan du prince ne mène à rien ; il serait chassé de Huningue en quatre jours, et je nie perdrais en quinze jours. Mon armée est composée de braves gens et de coquins ; il faut séparer les uns des autres, et aider tellement les premiers, par une grande démarche, qu’ils n’aient plus possibilité de reculer, et ne voient plus leur salut que dans le succès.

« Pour y parvenir, j’offre de passer le Rhin où l’on me désignera, le jour et à l’heure fixés, et avec la quantité de soldats et de toutes les armes qu’on me désignera. Avant, je placerai dans les places fortes des officiers sûrs, pensant comme moi ; j’éloignerai les coquins et les placerai dans les lieux où ils ne peuvent nuire, et où leur position sera telle qu’ils ne pourront se réunir. Cela fait, dès que je serai de l’autre côté du Rhin, je proclame le roi, j’arbore le drapeau blanc ; le corps de Condé et l’armée de l’Empereur s’unissent à nous. Aussitôt je passe le Rhin et je rentre en France. Les places fortes seront livrées et gardées, au nom du roi, par les troupes impériales.

« Mais il faut que vous sachiez que, pour le soldat français, la royauté est au fond du gosier. Il faut, en criant : Vive le roi, lui donner du vin et un écu dans la main ; il faut solder mon armée jusqu’à la quatrième ou cinquième marche sur le territoire français… Allez rapporter tout cela au prince, écrit de ma main, et donnez-moi ses réponses… »

A peine est-il besoin de faire remarquer tout ce que présente d’invraisemblable ce langage dans la bouche et sous la plume d’un général familiarisé avec la victoire et dont la conquête de la Hollande avait révélé tout à la fois le désintéressement et les exceptionnelles qualités militaires. S’il avait voulu trahir, il y aurait mis plus d’habileté. Au plan tout à fait enfantin et impraticable que lui avait soumis le prince de Condé et dont il sera reparlé au cours de ce récit il n’en aurait pas substitué un plus enfantin et plus impraticable encore. Il eût apporté plus d’adresse dans ses mesures, à supposer qu’il n’eût, pas essayé d’abord de démontrer l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de réaliser ce qu’on attendait de lui. En tout cas, il n’eût pas laissé aux mains de ses complices une pièce dont la divulgation devait le perdre à jamais et faire la preuve de son crime.

Cependant, l’intérêt de ces considérations, encore qu’elles