Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien haut « le meilleur poète de son temps… un poète comme on n’en voit pas deux dans un siècle. » M. Jules Lemaître, en dépit de toutes sortes de réserves prudentes, n’en croyait pas moins devoir comparer Verlaine à l’auteur de l’Imitation, à sainte Catherine de Sienne et à sainte Thérèse. Toute la critique suivit, moutonnière comme à son habitude. Elle s’épuisa en variations sur le génie étrange du poète, son cynisme ingénu, sa perversité naïve, et autres fariboles. Cependant les publicistes chrétiens venaient à la rescousse des panégyristes profanes. Et ceux du clergé régulier ne le cédaient pas à ceux du clergé séculier. C’était un abbé qui, étudiant la religion des contemporains, commençait par nous entretenir de Verlaine : mais c’était un Père jésuite qui ne craignait pas de rapprocher du nom de Verlaine celui de Dante, et dans un chapitre sur « Verlaine et la mystique chrétienne, » écrivait bravement : « Tout est là de pure inspiration chrétienne et de franche orthodoxie. C’est bien la conversion par la pénitence et l’eucharistie, non les variations d’une religiosité quelconque, mais les chants d’une âme qui retourne vers les bras ouverts de l’Église. » Désormais il demeura convenu que Verlaine avait trouvé d’instinct cette poésie mystique et symboliste à laquelle aspiraient les plus jeunes de ses contemporains, que de son œuvre datait une ère nouvelle dans l’histoire de notre poésie, et que, grâce à lui, cette poésie s’en allait retrouver une fraîcheur, une fécondité toute neuve.

Autant d’erreurs et de sophismes, dont une lecture de l’œuvre complète de Verlaine fait aussitôt justice. Car il ne s’agit plus ici de le juger sur un vers harmonieux, sur une plainte musicale, sur la rencontre d’un rythme berceur. Ce que nous avons sous les yeux, c’est tout l’écrivain et tout l’homme avec la tournure habituelle de son esprit, avec les tendances permanentes de sa nature, avec ce qui le détermine et le définit.

En dépit des amateurs de parallèles à l’ancienne mode, il faut renoncer à la comparaison jadis obligatoire entre Verlaine et Villon. C’est une rengaine dont on nous a suffisamment rebattu les oreilles, mais qui, en outre, a le défaut de ne rien signifier. Qu’un petit bourgeois, soigneusement élevé, et pourvu d’un emploi modeste, soit conduit par sa paresse, par son ivrognerie, par toute sorte de vices à la prison et à l’hôpital ; j’avoue pour ma part ne pas voir ce qu’il y a dans une telle destinée de hardi et de rare, de pittoresque et de poétique. Rien de plus lamentable, au contraire, rien de plus médiocre et de plus tristement banal. Peu importe d’ailleurs qu’il s’agisse d’un noctambule du XIXe siècle ou d’un mauvais garçon du XVe ; à ce point