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les fautes et jusqu’à celles qui tombent directement sous le coup de la loi, il s’était échoué en prison, il y avait composé des vers dévots et ses pieuses élucubrations paraissaient à une librairie catholique. C’était bien là le concours de circonstances paradoxal, absurde, « amusant, » qui constitue un « événement parisien » et déchaîne la célébrité. C’est à cette occasion qu’on « découvrit » Verlaine.

Ceux qui dès lors travaillèrent à sa réputation, ce ne furent pas les rédacteurs des petites revues et les littérateurs de brasserie, attendu qu’ils sont bien incapables de faire ou de défaire aucune réputation. Cette renommée a été l’œuvre des représentans autorisés de l’art, du goût et de la morale. Parnassien de jadis, Verlaine retrouvait ses anciens compagnons tout chargés d’honneurs et de considération bourgeoise : ceux-ci se souvinrent du rimeur qu’ils avaient coudoyé dans la boutique de Lemerre et se crurent obligés par une sorte de lien de confraternité à porter témoignage pour le camarade tombé dans le malheur. La critique, en ce temps-là, se divertissait aux jeux de l’impressionnisme et de l’ironie. Elle vit aussitôt le parti qu’on pouvait tirer des façons de vivre et d’écrire de cet irrégulier ; avec une pointe de malice, que se gardèrent bien d’apercevoir le public naïf et les bons jeunes gens, elle se plut à humilier tous les principes et toutes les règles, comme autant de conventions devant les merveilles spontanées que créait l’instinct de cet impulsif. Les gens d’église, empressés à constater les effets de la grâce et à enregistrer les conversions, se hâtèrent d’ouvrir au pécheur repenti les portes du sanctuaire. Et comme il se trouve toujours quelque groupe flottant qui, pour devenir école, a besoin de trouver un chef et s’accommode volontiers du premier qu’il rencontre, Verlaine ne fut pas plutôt sacré poète et garanti chrétien, qu’il passait chef d’école.

Alors ce fut, nul ne voulant se laisser distancer, la rivalité dans l’engouement, le ricochet d’épithètes admiratives, le crescendo d’hyperboles qui se grossissent, en se faisant écho. Notre époque avait trouvé son Villon et le rapprochement devint bientôt banal. C’était d’abord d’être un « mauvais garçon » qu’on félicitait Verlaine, et de jeter si hardiment le défi à tous les scrupules de nos sociétés policées : et M. Anatole France créait à la ressemblance de l’auteur de Sagesse et de Parallèlement les figures délicieuses de Gestas et de Choulette. C’est déjà M. France qui avait salué en Verlaine « le poète le plus singulier, le plus monstrueux et le plus mystique, le plus compliqué et le plus simple, le plus troublé, le plus fou, mais à coup sûr le plus inspiré et le plus vrai des poètes contemporains. » Il le proclamait