Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on y voit l’éveil soudain de la soif aurifère, quand les conquérans trouvent chez un vieux cacique une toute petite plaque d’or, source infinie, cause minuscule et décisive de tant de larmes et d’atrocités, — avec les histoires du chef Carex et de l’interprète Cominche, les deux expéditions successives de Heredia vers l’Eldorado, la première et la plus fructueuse à Zamba Calera, simple promenade militaire qui lui rapporta, sans autre dommage qu’un homme tué, la somme vraiment coquette de 1 500 000 ducats d’or. (Dans sa « Lettre de relation » à Charles-Quint, il n’accuse, prudemment, que 20 000 piastres d’or, environ.) C’est là que les brigands trouvèrent un dieu d’or ciselé représentant un porc-épic et pesant cinq arrobes ou soixante-deux kilos et demi, la plus grosse masse de métal précieux trouvée dans le Nouveau Monde. Ils remportèrent, indignés, déclarant ne pouvoir tolérer de pareilles idolâtries. La seconde équipée, forte de deux cents hommes, avait pour objectif le cimetière du Zénu ; plus pénible, plus guerroyante, poursuivie jusque sur les hauteurs du Panxenu et du Zenufana, elle ne laissa point d’être profitable encore, puisque, défalcation faite de la Quinte royale, les soldats survivans eurent à se partager 400 000 piastres d’or, soit 330 000 francs par tête. Et Acosta, qui rapporte ces détails, ajoute mélancoliquement : « Ils auraient pu retourner vivre si heureux, si tranquilles jusqu’à la fin de leurs jours sur leur petit lopin de terre, là-bas, en Espagne ! Mais non, toutes ces richesses furent dilapidées à Carthagène même, en buveries et en fanfreluches ! » El c’est vrai ; ainsi s’évanouit, sans profit pour personne, symbole puissant de cette immense partie de baccarat que fut la conquête, le plus énorme gain que, Pérou et Mexique compris, ait jamais rapporté à ses conquérans le Nouveau Monde. On se rappelle, par comparaison, les murmures qui accueillirent la remise à chaque compagnon de Fernand Cortex des cent piastres lui revenant sur le trésor de Montezuma.

Pendant ces chevauchées, qui devaient, d’ailleurs, finir plus tard en déroute, s’élevaient lentement, pierre par pierre, et charriées à force d’hommes, les formidables murailles. Le nombre d’indigènes qui y furent employés, variable du reste suivant les récits, relève, par ses proportions fantastiques, plutôt des comptes de Khéops et des conducteurs de travaux de la Dix-huitième dynastie, que de l’histoire critique et prouvée. Les légendes l’évaluent, diversement entre trente et cent mille. La vérité reste