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LE FANTÔME.

aura-t-elle pas, quand, demain, elle me verra revenir, n’ayant pas pu supporter même cette courte absence ? Mais les mauvaises heures recommenceront ? Qu’elles recommencent ! Nous en aurons eu une bien douce, celle où je lirai dans ses yeux son ravissement de mon retour, où elle lira dans les miens le repentir fou de mon absence !

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Paris, 2 décembre.

… Nous sommes revenus à Paris et Éveline est enceinte. Qu’elle était jolie et touchante de grâce craintive, quand elle m’a annoncé ce grand événement !

— J’en suis si heureuse, m’a-t-elle dit, et pourtant, je devrais avoir peur… Oui, ajouta-t-elle en rougissant, je vais devenir laide, et toi, tu ne vas plus m’aimer du tout…

J’essayai de la rassurer par des paroles d’affection. Je la serrai contre moi avec un tel sur saut de tendresse, et bien vrai ! Elle trahissait tant d’amour, cette crainte que le travail sacré qui allait s’accomplir dans sa chair ne me détachât d’elle, — tant d’amour et si peu de confiance dans l’avenir de notre ménage ! Ai-je mérité qu’elle pensât autrement ? Me suis-je conduit aussitôt de manière à lui persuader qu’elle se trompait ? Ai-je accueilli cette nouvelle de la venue du premier enfant, qui fait l’orgueil du foyer, comme un fondateur de famille, avec cette joie grave et radieuse de courage, qu’une jeune mère est en droit d’attendre d’un père ? Un foyer ? Mais avons-nous un foyer ? En a-t-on un, lorsque la vie en commun n’est pas la vie commune, que la cohabitation n’est pas l’union, que le mari porte en soi tout un domaine de pensées interdit à sa femme, que celle-ci le sait, lorsqu’elle sait aussi que l’enfant qui a tressailli dans son flanc n’est pas né de l’amour, qu’il est né de la pitié ? C’est dans l’émotion de mon retour de Sorrente que ce petit être a été engendré, dans ces heures de repentir attendri et de commisération passionnée. Il n’est pas le fruit de la joie. Il est celui du remords. Il n’est pas un rejeton d’allégresse et d’espérance. C’est l’enfant du mortel délire où m’a jeté le sentiment d’une souffrance que je ne me pardonnais pas d’avoir causée. Que j’ai mêlé de larmes aux baisers par lesquels cette promesse d’âme