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Avec la haute idée qu’il avait de son art, Léonard voulait que le peintre fût capable de tout exprimer. « Il doit, disait-il, chercher à être universel ; car c’est manquer de dignité que de faire une chose bien et une autre mal ; » et ailleurs, revenant sur ce point, il insiste sur la nécessité de ne pas se borner à une seule spécialité, « comme une tête, des draperies, ou des animaux, ou des paysages, ou des objets particuliers semblables, car il n’est pas d’esprit qui, en s’étant tourné vers une chose seule et l’ayant toujours mise en œuvre, n’arrive à la bien faire. » Il pense, du reste, que la nature est la vraie, la seule maîtresse, celle à laquelle il faut toujours revenir. Il l’aime avec passion et admire de toutes ses forces l’esprit qui l’anime, car « bien que le génie humain fasse des inventions qui, par des moyens intelligemment combinés, aboutissent à une fin, jamais il ne trouvera d’inventions plus belles, plus faciles, plus concises que la nature ; car dans les inventions de celle-ci rien ne manque et il n’y a jamais rien de trop[1]. » Traçant le programme d’une éducation vraiment artistique, il exige, au début, une étude rigoureuse de toutes les parties techniques, comme l’anatomie, la perspective et les proportions, et fait aussi une part à l’étude des maîtres afin de profiter de leur expérience ; mais il recommande instamment de conserver vis-à-vis d’eux son indépendance et de ne pas abdiquer sa personnalité, car « en imitant la manière d’un autre on n’est plus que le petit-fils et non le fils de la nature. » Il faut « que le peintre dispute et rivalise avec la nature elle-même. »

Cependant au milieu de cette infinité de choses qu’il doit pouvoir représenter, comment l’artiste se retrouvera-t-il ? Quelle marche suivre pour son instruction ? Sous peine de s’égarer en allant à l’aventure, il est nécessaire qu’il mette tout l’ordre qu’il pourra dans la suite des études qu’embrasse son art. Certes cet art dépasse la stricte imitation des objets ; mais il faut avant tout que le peintre acquière cette part d’imitation qui en est la condition indispensable. Plus il s’en sera rendu maître et plus il

  1. C’est là une idée que Descartes devait reprendre et exprimer presque dans les mêmes termes, quand il dit « qu’au lieu de cette philosophie spéculative qui s’enseigne dans les écoles, on en peut, trouver une pratique par laquelle, connaissant la force et les fictions du feu, de l’eau, des astres et de tous les autres corps aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pouvons employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. » Discours sur la méthode, 6e partie, t. Ier, p. 192.