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souffrait d’une reprise d’anciennes misères, d’Andiguier n’avait pas menti. Soit qu’au cours de cette dernière semaine, il eût entièrement négligé les précautions, grâce auxquelles il maintenait son reste de santé, soit que la peine morale eût son contre-coup inattendu chez lui dans ce que les physiologistes appellent, avec tant de justesse, le point de moindre résistance, il recommençait d’être, comme il l’avait déclaré, le martyr de violentes névralgies. Elles s’étaient placées, cette fois, dans la poitrine, et le médecin, appréhendant quelque désordre du côté du cœur, avait mis le vieillard en observation. Il avait dû s’aliter, et, depuis deux après-midi, c’était Éveline qui venait prendre de ses nouvelles et passer quelques heures avec lui. Ce jour-là, quand elle était arrivée, le domestique l’avait avertie qu’elle ne s’inquiétât pas de l’état où elle trouverait son maître. Pour combattre l’insomnie que lui causait l’intensité de la douleur, on lui avait donné une dose un peu forte de chloral et d’opium, sous l’influence de laquelle il était encore. Quand la jeune femme entra dans la chambre, d’Andiguier reposait en effet. Elle fit signe au serviteur qu’elle attendrait son réveil, et elle s’assit dans un fauteuil au pied du lit du patient, dans cette chambre où elle retrouvait partout la trace du culte que le vieil homme gardait à sa mère. Le crucifix placé au-dessus du lit avait appartenu à Mme Duvernay. C’était Éveline elle-même qui l’avait donné à d’Andiguier, comme aussi cette aquarelle représentant le petit salon de la rue de Lisbonne, autrefois. Une boucle de cheveux blonds et des feuilles séchées se voyaient sous un verre au chevet du malade. C’étaient des cheveux coupés sur la tête de la morte et des branches prises à un des arbustes de son tombeau. Une grande photographie de la Villa d’Este était auprès. D’Andiguier l’avait souvent montrée à Éveline et la croix tracée de sa main, qui marquait la fenêtre de la chambre occupée par celle qui était encore Mlle de Montéran, lors de leur première rencontre, en 1871. Ailleurs, une bibliothèque vitrée contenait des livres prêtés jadis à Mme Duvernay. Éveline le savait, et elle n’avait qu’à regarder les portraits placés dans des cadres mobiles sur la cheminée, pour retrouver, comme dans sa propre chambre, sa mère partout, sa mère toujours. D’autres portraits, les siens, disaient la place qu’elle occupait, elle aussi, dans les religions de cœur du vieillard. Cette évidence d’un dévouement que les années avaient exalté, au lieu de le glacer, saisit une fois de plus la fille d’Antoi-