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LE FANTÔME.

les éléments épars de ses récentes observations se rapprochèrent et firent corps : son raisonnement sur les chagrins de d’Andiguier et leur cause possible, d’abord, — puis ses réflexions sur le changement de rapports entre les deux hommes, et l’étrangeté d’une entente qui supposait un retournement si complet chez d’Andiguier encore, provoqué par quoi, sinon par la même cause qui provoquait ces chagrins ; — l’évidence enfin du trouble de Malclerc quand elle était entrée dans le petit salon et devant cette photographie… Pour des motifs qu’elle n’entrevoyait pas, à un degré qu’elle ne comprenait pas, dans des conditions qu’elle ne soupçonnait pas, par un point au moins, le secret autour duquel errait son enquête silencieuse était relatif à sa mère.

— C’est impossible, se dit-elle aussitôt, Étienne ne l’a pas connue… Elle avait reposé le portrait, elle aussi, d’un mouvement brusque, en se prononçant tout bas cette petite phrase. L’irréfutable objection de cet alibi eut un instant raison du travail qui s’était déjà accompli inconsciemment dans son esprit. Elle songea : — Je deviens vraiment folle… — et, pour chasser entièrement une idée qu’elle jugeait tout à fait morbide, elle commença de s’occuper à un des menus ouvrages qu’elle multipliait pour l’enfant à naître. C’était un petit bonnet, composé de fleurs en fil, dans ce point si joliment appelé frivolité. L’attention que ses yeux et ses doigts devaient apporter au maniement de la navette d’ivoire trompait d’habitude sa pensée. Le génie d’acceptation qui était une des grâces et une des forces de sa patiente nature, s’éveillait en elle dans ces momens-là. Elle sentait tressaillir dans son sein l’être déjà vivant, dont bientôt elle entendrait les cris, qu’elle nourrirait de son lait, qu’elle réchaufferait de ses caresses, et elle s’efforçait de s’absorber dans des soins qui prévoyaient, qui préparaient cette toute prochaine venue. Cette fois-ci, l’absorption de son esprit dans cette minutieuse besogne dura quelques instans à peine. Elle remit presque aussitôt son ouvrage dans le vide-poche qui se trouvait à portée de sa chaise longue. Un souvenir avait tout d’un coup traversé sa mémoire, celui de sa première visite avec Étienne, alors son fiancé, dans cet hôtel qui devait être le leur. Que son attitude avait été étrange à ce moment-là ! À peine entré dans cette pièce-ci, en particulier, comme il s’était montré nerveux, tourmenté ! Avec quelle hâte il lui avait demandé de partir, comme si de voir les murs de ces chambres lui était insupportable ! Et