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LE FANTÔME.

ménage, me réconforter, me donner des conseils… Mais lisez… lisez…

— Non, répondit encore la jeune femme, et elle repoussa l’enveloppe de la main. De nouveau, une lutte entre des émotions contraires se peignit sur son visage. Puis, interpellant le vieillard avec une solennité singulière, elle reprit : « S’il en est ainsi, vous, mon ami, jurez-moi sur le souvenir de maman qu’Étienne et vous ne me cachez rien, et je vous croirai…

— Mon enfant !… dit d’Andiguier, — et tout son pauvre cœur tremblait dans sa voix. — Ce n’est pas bien de mêler les morts à nos pauvres petites agitations. Ce n’est pas bien de dramatiser avec des appels de ce genre, avec des évocations et des sermens, des difficultés d’un ordre très simple. Je n’ai rien à te jurer et je ne te jurerai rien. Mais je te dirai avec tout ce que j’ai en moi d’amitié pour toi, avec tout ce que j’ai eu d’affection pour ta mère : reviens au bon sens et à la réalité. Ton mari vient de te donner l’exemple de ce qui est vrai, de ce qui est juste, de ce qui est sage. Il a souffert de désordres nerveux. Il va essayer de se soigner, de prendre sur lui-même, de se guérir. Ne lui rends pas cet effort impossible, et, toi-même, pense au grand événement qui se prépare. Il n’y a rien entre vous que des idées, que tes idées. Ne les laisse pas te ressaisir… Tu es toute pâle. Tu t’es rendue malade ce matin encore, en te levant sitôt, en venant, en te tourmentant, et c’est si inutile, c’est si coupable !… Allons, Étienne, — c’était la première fois qu’il appelait Malclerc de son petit nom, par une simulation d’amitié, bien magnanime, elle aussi, — vous allez la reconduire et la calmer. J’irai prendre de tes nouvelles cet après-midi, et, regarde-nous, tu verras bien que je ne te mens pas quand je te dis que, lui et moi, nous ne voulons que ton bonheur…


— J’aurais dû jurer… se disait ce grand honnête homme, un quart d’heure plus tard, quand il se retrouva seul, dans sa galerie, après le départ des jeunes gens : J’aurais dû jurer… Qu’est-ce qu’un faux serment, quand il s’agit d’épargner à une femme une révélation semblable sur son mari et sur sa mère ?… Mais non. Elle m’aurait cru aujourd’hui, et demain, elle aurait recommencé de douter, de chercher. Elle a été trop avertie… Du temps, il faut gagner du temps, et arriver à la naissance de l’enfant… Si ce malheureux, — il pensait à Malclerc, — à la force de se com-