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sel leur fasse défaut, car les gisemens, les efflorescences et les lacs salés abondent dans ces régions ; mais, ces peuples, qui vivent du produit de la chasse et de la pêche éprouvent une aversion décidée pour cet aliment. Un explorateur qui a vécu longtemps chez les Kamtschadales et les Tungouses, le minéralogiste bien connu C. von Ditmar, s’amusait à leur faire goûter les alimens salés dont lui-même faisait usage, et, à noter les mines et les grimaces de répulsion que provoquait chez eux ce très simple assaisonnement. Ce n’est pas, cependant, que ces gens se montrent d’une délicatesse exagérée. Ils se nourrissent habituellement d’un mélange innommable formé de poissons, amassés dans d’énormes silos, et qui s’y corrompent à loisir en attendant le moment d’être consommés. Le gouvernement russe a voulu améliorer ces habitudes alimentaires par trop répugnantes et malsaines ; il a enseigné à ces peuplades l’art de saler le poisson pour le préserver de la pourriture ; il a établi, à cet effet, des salines dans le voisinage de leurs campemens et il leur a livré le sel à un prix dérisoire. Vains efforts ! Ces populations dociles ont obéi ; elles ont salé le poisson, mais elles ne l’ont pas mangé.


Sous d’autres latitudes, on trouve les mêmes exemples d’indifférence ou d’antipathie à l’égard de l’assaisonnement qui nous paraît si nécessaire. Les Kirghizes du Turkeslan qui se nourrissent de lait et de viande dans des steppes salés, n’usent cependant point de sel. Les Bédouins de l’Arabie, d’après Wrede, trouvent l’emploi du sel ridicule, et les Numides dont parlé Salluste et qui dédaignaient le sel se nourrissaient, à son témoignage, de lait et de viande, lacte et carne ferrina.

L’Afrique nous fournit encore d’autres exemples tout aussi démonstratifs. L’écossais Mingo Parle qui, il y a un siècle, explora la région que l’on appelle aujourd’hui la boucle du Niger, avait été frappé de l’avidité des populations nègres, agricoles, pour le sel. Celui-ci leur était apporté péniblement et à un prix très élevé par les caravanes qui le tiraient de la Mauritanie, de la sebkha d’Idgil à mi-chemin entre le Sénégal et le Maroc, ou des gisemens de Taodenit, au-dessus de Tombouctou. « A l’intérieur du pays, dit-il, le sel est le régal par excellence. C’est un spectacle curieux pour un Européen de voir un enfant sucer un bâton de sel comme si c’était du sucre… J’ai vu cela maintes