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Mais ils seront tout au contraire
Appelés sots et furieux
Par le caquet du populaire
Méchantement injurieux.


Le « populaire » ou le « vulgaire, » ce n’est pas, à vrai dire, pour eux, la foule anonyme, ignorante et indifférente, mais, au contraire, c’est la fausse élite ; ce sont ceux qui se croient une élite et qui n’en sont pas une ; ce sont ceux qui confondent le divertissement avec l’art ; et ce sont ceux qui, comme on le leur entendra dire un jour, n’estiment pas, après tout, qu’un « bon poète » soit plus utile à l’Etat, ni l’honore davantage qu’un « bon joueur de quilles. » Ou, en d’autres termes encore, le « populaire » ou le « vulgaire, » aux yeux de Ronsard et de Du Bellay, ce sont tous ceux qui les ont eux-mêmes précédés, les Marot et les Saint-Gelais, les Molinet et les Meschinot, les Crétin et les Chas-telain, « grécaniseurs » ou « latiniseurs, » à qui la science et le talent même n’ont point tant manqué que le sentiment de la grandeur unique de l’art, et la conscience de leur dignité de poètes.


Je m’attens bien qu’il s’en trouvera beaucoup… qui diront qu’il n’y a aucun plaisir et moins de proufit à lire telz escriptz, (que les nôtres) ; que ce ne sont que fictions poétiques ; et que Marot n’a point ainsi écrit. A tels, pource qu’ils n’entendent la poésie que de nom, je ne suis délibéré de respondre, produisant pour défense tant d’excellens ouvrages poétiques, grecs, latins ou italiens, aussi aliénés de ce genre d’escrire, qu’ilz approuvent tant, comme ilz sont eux-mêmes éloingnés de toute bonne érudition. Seulement veux-je admonester celuy qui aspire à une gloire non vulgaire, s’éloingner de ces ineptes admirateurs, et fuyr ce peuple ignorant, peuple ennemi de tout rare sçavoir. (Illustration, Livre II, ch. XI.)


L’expression de la même idée reparaît dans la seconde Préface de l’Olive, 1551, et c’est presque la seule et dédaigneuse réponse que Du Bellay ait cru devoir opposer au Quintil Horatian.


J’ai expérimenté, dit-il, ce qu’auparavant j’avoy’, assez préveu, c’est que d’un tel œuvre (sa Défense) je ne rapporteroy’, jamais favorable jugement de noz rhétoriqueurs François, tant pour les raisons assez nouvelles et paradoxes introduites par moy en notre vulgaire que pour avoir, ce semble, heurté un peu trop rudement à la porte de noz ineptes rymasseurs. Ce que j’ai faict, lecteur, non pour autre raison que pour éveiller le trop long silence des cygnes, et endormir l’importun croassement des corbeaux.