Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

orthodoxe et, même au temps de leur plus brillante floraison, en ont gardé la saveur ; les rejetons des autres écoles, soit de l’antiquité, soit de l’étranger, tenus en défiance, se sont maigrement développés ; les formes nouvelles, méprisées, laissées au peuple grossier, sont restées sans influence.

Confucius, semblable à ses compatriotes, homme de sens pratique, manquait de l’imagination qui construit, était peu capable de l’abstraction qui généralise ; analyste des hommes et des institutions, il voulait les ramener à leur pureté antique ; mais il ignorait la nature matérielle où l’homme est plongé : du mystère du monde, il n’avait pas ce sentiment si remarquable dans les écrits taoïstes ; il ne tressaillait pas de cette universelle sympathie, si marquée dans le bouddhisme qui ne devait parvenir en Chine que cinq siècles après sa mort ; il était étranger à cette curiosité des idées qui aiguillonnait les Grecs dès avant Socrate et Euclide. Comme lui, ses disciples ne connaissent ni la science ni la métaphysique, ni la charité ni l’amour de la vérité : c’est pourquoi, depuis deux mille ans, frappés par l’éducation de cette empreinte unique, les Chinois, surtout ceux des classes supérieures, restent volontiers fermés à tout sentiment d’expansion, confinés dans leur admiration pour les formes orthodoxes de la morale et de la littérature. Aussi, dans ce pays où l’on a peut-être plus écrit, étudié avec plus de patience que dans aucune autre région de la terre, la science n’existe pas : l’histoire naturelle n’est qu’un catalogue de faits à peine classés, rapportés à un usage médical, agricole ou industriel ; l’alchimie, négligée aujourd’hui, semble-t-il, l’astrologie toujours en honneur, n’ont jamais eu d’autre but que de connaître et de modifier la destinée de l’homme, de satisfaire ses passions, jamais d’autres règles que des recettes qui ne sont liées en aucun système clair prétendant traduire la réalité ; les mathématiques se composent de formules empiriques, destinées à la solution de problèmes particuliers, et ignorent cet enchaînement de propositions dont les Grecs ont posé les premiers termes.

Ce qui manque partout, c’est l’idée de la loi scientifique : la conception des séries de faits liés constamment ou habituellement a jusqu’ici dépassé la force d’abstraction du Chinois. Dans son esprit, les phénomènes s’associent par contiguïté. A ceux qui n’ont pas d’explication voisine, on suppose des causes mystérieuses. Pour le lettré, tout l’univers se réduit aux combinaisons