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lois les plus urgentes. On a jugé que la plus pressée de toutes était celle qui se rapporte à la réforme des boissons, sujet trop spécial pour que nous nous y attardions ici ; et ensuite la loi sur les associations. Trois séances par semaine ont donc été attribuées à la loi des boissons, qui vient enfin d’être votée. Celle du vendredi appartient aux interpellations. Grâce à ce système, on passe dans la même journée d’un objet à un autre avec une allure sautillante qui donne au travail parlementaire l’apparence de propos interrompus. Une interpellation a duré trois séances, c’est-à-dire trois semaines, et c’est celle de toutes qu’il aurait fallu terminer le plus vite. Il s’agissait de cette déplorable affaire Voulet et Chanoine sur laquelle nous nous garderons bien de revenir : mieux aurait valu n’en rien dire du tout. Mais les uns se proposaient d’en tirer parti contre notre système colonial, les autres contre l’armée, d’autres encore contre le gouvernement, tandis qu’on était en présence d’un de ces incidens malheureux qui ne prouvent rien contre personne, et dont les responsabilités directes s’étaient éteintes dans la mort. On a mis trois longues semaines pour en finir ! Comment admirer cette manière d’opérer ?

En revanche, une autre interpellation a été conduite avec une célérité merveilleuse : elle s’appliquait à ce qui s’est passé dans le 18e régiment de dragons, en garnison à Melun. Pendant plusieurs semaines, ce régiment a été livré aux agitations les plus violentes : il y a eu des querelles, des coups même, enfin des duels entre plusieurs officiers, tout cela parce qu’un d’entre eux avait épousé une femme divorcée, avec laquelle certains autres, ou leurs femmes, ne voulaient pas avoir de rapports personnels : sujet tellement délicat qu’il aurait fallu le traiter avec beaucoup de ménagemens, de discrétion et de dextérité. En tout autre temps, on serait arrivé sans doute à éviter le scandale. Un colonel qui a de l’influence et de l’autorité sur ses officiers arrange habituellement ces sortes d’affaires, et les empêche de jeter au dehors un éclat dont personne ne profite et dont tout le monde souffre. Nul doute que, livré à lui-même, le colonel du 18e dragons eût rempli son rôle naturel ; mais il avait pour ministre le général André, ce qui compliquait singulièrement la situation.

Depuis que le général André est à sa tête, l’armée est en plein désarroi, sans qu’on puisse dire si le fait est dû aux intentions du ministre, ou simplement à sa maladresse. Le général André a le plus grand des défauts dans la situation qu’il occupe : il ne connaît pas les hommes, et il croit qu’on peut les mener avec des formules mathématiques et des ordres très impératifs, en y ajoutant au besoin quelques