Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/914

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Défense et Illustration de la langue françoise, je n’en considère pas moins la connaissance comme nécessaire à l’intelligence du manifeste de la Pléiade ; et j’en ai toujours la même raison. C’est ici l’enseignement propre de l’école lyonnaise. Pontus n’est que l’interprète ou le secrétaire de Maurice Scève ; et les théories qui seront celles de Ronsard ou de du Bellay, plus approfondies, sont dans ses Discours plus philosophiquement rattachées à leurs principes. ! En voici un exemple : Pontus cause avec Pasithée, l’objet idéal de ses Erreurs amoureuses, l’interlocutrice habituelle de ses Discours, et Pasithée lui fait une objection :


— Mais, répliqua-t-elle, que répondrez-vous à ce que dient vos censeurs, que si, par estranges façons de parler, vous taschez d’obscurcir et ensevelir dans vos vers vos conceptions, tellement que les simples et les vulgaires, qui sont, jurent-ils, hommes de ce monde comme vous, n’y peuvent recognoistre leur langue, pour ce qu’elle est masquée et déguisée de certains accoutremens estrangers, vous eussiez encore mieux fait, pour atleindreà ce but, de non estre entendus, de ne rien écrire du tout.

— Je leur répondray, dy-je. que l’intention du bon poète n’est de non estre entendu, ni aussy de se baisser et accommoder à la vitté du vulgaire, duquel ils sont les chefs, pour n’attendre autre jugement de ses œuvres que celuy qui naistroit d’une tant lourde cognoissance. Aussi n’est-ce en si stérile terroir qu’il désire semer la semence qui lui rapporte louange. Bien désireroit-il que ces chassieux, mais aveugles, eussent la vue bonne et peussent cognoître que ce qu’ils cerchent sous le nom de facilité n’est rien moins que facilité, mais doit avoir nom d’ignorance painte aux rudes linéamens de leurs grossières inventions…

Qu’y a-t-il, Pasithée, dy-je en m’interrompant, pour ce que je la voyois, se couvrant d’un garni parfumé, commencer de sourire : ay-je fait quelque faute ?

— Non, ne vous esmouvez point, Solitaire, dit-elle : car je souriois d’un mot que j’attendois en votre réponse, et qu’autrefois je vous ay ouy dire à un monsieur qui se tourmeutoit sus ce même argument… Vous sçavez bien qui je veux dire.

— Non fais, pardonnez-moy, lui répondy-je.

— Vous souvient-il pas, répliqua-t-elle, de celui qui un jour arrivant icy me trouva une Délie en main ; et de quelle grâce, l’ayant prinse et encore non leu le second vers entier, il se rida le front, et la jetta sur la table à demy courroucé ?

— Oh, si fais deà, respondy-je, et ay bien mémoire qu’entre autres choses, quand je le vy autant nouveau et incapable d’entendre la raison que les doctes vers du seigneur Maurice Scève, — lequel vous sçavez, Pasithée, que je nomme toujours avec honneur, — je luy respondis qu’aussi se soucioit bien peu le seigneur Maurice que sa Délie fut veuë ni maniée des veaux[1].

  1. L’orthographe et la ponctuation sont celles de l’édition de 1587. Discours philosophiques de Pontus de Tyard, Paris, chez Abel l’Angelier.