économique et sociologique ; mais ce ne serait point la vérité, car l’élément psychologique, qu’ils ne peuvent saisir et noter d’un coefficient, l’incalculable, l’impondérable leur échappe, qui vient tout fausser. Oui, si l’on veut, il y a, aujourd’hui, moins de misère et pour moins d’hommes qu’autrefois ; oui, si l’on veut, il y a, sous certains rapports, moins d’inégalité ou même plus d’égalité. Mais la fatalité, ou plus exactement la loi de concentration qui, à travers le siècle, régit la révolution économique, en rassemblant les ouvriers, et, par le contact habituel, en les imprégnant, pour ainsi parler, de la notion diffuse de leur solidarité, en « articulant » ce grand corps de la masse ouvrière, en le « vertébrant, » en lui donnant ce qui lui avait manqué jusqu’alors, des centres nerveux, un système nerveux central ; cette loi d’universelle concentration a fait que jamais la misère de chacun n’a semblé à tous plus lourde que depuis qu’elle s’est réellement allégée, et que jamais l’inégalité n’a autant pesé que depuis que la plus solennelle des promesses a aussi généreusement qu’imprudemment allumé au cœur des foules l’ardent désir de l’égalité parfaite.
Or, dans le même moment où la révolution économique opérait cette concentration du travail, et par elle cette transformation sociologique et psychologique des travailleurs, en ce moment-là même, la révolution politique opérait, par la proclamation du suffrage universel, une transformation non moins profonde. Rarement la bourgeoisie, qui, en France, avait peu à peu pris goût au jeu périlleux de l’émeute, sans distinguer très nettement une fronde d’une révolution, avait fait contre elle-même, croyant le faire contre d’autres, un acte plus vraiment révolutionnaire.
Révolutionnaire, en effet, un pareil acte l’était de toutes façons. Il l’était d’abord et en soi, puisque la proclamation du suffrage universel était avant tout la réponse directe et catégorique au refus opiniâtre d’adjonction des capacités. Ensuite il l’était dans sa forme, puisqu’il venait à la suite de manifestations violentes. Mais il l’était encore davantage par la rapidité soudaine du procédé, puisque subitement, tout d’un temps, sans moyens et d’un extrême à l’autre, il faisait passer le corps électoral de 240 000 inscrits environ à environ 8 millions, que d’un seul coup il le décuplait trois fois et au-delà. Si l’on songe que ce n’étaient pas du tout des unités de même ordre ou des élémens de même nature qui se trouvaient ainsi introduits par irruption brusque et presque illimitée, mais des unités irréductibles, des élémens qui, loin de