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sortie de leurs mains, on vous montre quelques parties de la somptueuse demeure habitée par les vice-rois de la Nouvelle-Grenade ; mais leur souvenir reste maudit. On les appelle des Titans, mais on voue leur mémoire à la haine des bambins qui vont à l’école, de ces générations en herbe qui sont pourtant leurs filles.

Déjeuné ce matin dans un cadre de luxe tout à fait parisien, chez l’une des personnalités les plus distinguées et les plus riches du parti libéral, de ce parti qui aspire présentement au pouvoir « comme Jésus sur la croix après le ciel. » Des considérations de politique comparée ont fait à peu près tous les frais de cette conversation. L’approche des élections présidentielles, certaines rumeurs, du reste presque permanentes, de révolution, la corsaient d’un piquant d’actualité.

En fait, ces discussions de personnes et de programmes, ces subtiles questions de nuances, nullement inflexibles du reste, susceptibles de tempéramens selon les convenances personnelles, absorbent le plus clair du temps et des forces combatives des Sud-Américains. Peut-être en souhaiterait-on un plus positif emploi. Glisser le terrible mot de « politique » entre deux lambeaux négligens de phrase, c’est frotter un paquet d’allumettes ; c’est risquer quelque explosion. Il n’y a plus d’indifférens : les plus froids s’exaltent, les moutons deviennent enragés. Et les femmes s’en mêlent, les jolies têtes légères promptes à se passionner. On affronte avec surprise, — qui s’en douterait ? — des lutteuses irréductibles, d’adorables intransigeances. Heureux peuple, qui a encore la foi ! En France, où cette même passion du forum est reléguée de plus en plus au rang des plaisanteries de pire aloi, où les parades des tréteaux parlementaires n’arrêtent plus le passant, on s’expliquerait mal le goût que les combattans apportent à ces joutes, si l’on ne savait que sur la question, — philosophique, admettons-le, — de bien-être général, se greffe, le plus souvent, une préoccupation d’intérêt personnel fort étroit. En temps de révolution, un citoyen sans opinion joue le rôle du doigt entre l’arbre et l’écorce. Personne ne le défendant, il sert de proie aux deux partis. Puis, comme les salaires des emplois commerciaux sont généralement dérisoires, il est naturel que le besoin fasse briguer les destinos plus rémunérateurs du gouvernement. En somme, les sauterelles administratives qui s’abattent