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famille ou d’une même nation, les droits sont corrélatifs aux devoirs. Un peuple qui remplit tous ses devoirs internationaux doit pouvoir réclamer le libre exercice de ses droits, sans lesquels il faillirait à son rôle dans le monde. Mais il abdique autant de droits qu’il néglige de devoirs. C’est pourquoi la classification des publicistes qui rangent la Chine parmi les États à demi barbares n’est pas une œuvre d’imagination ou de sentiment ; elle correspond à des réalités et repose sur des faits tangibles.

A la lumière de ces faits, je me propose d’énumérer et de justifier les restrictions qui doivent être apportées, dans la vie du Céleste-Empire, à la jouissance des droits internationaux.

David Dudley Field, animé par le désir d’étendre à toute la famille humaine le bienfait d’une loi commune, avait osé soumettre en 1875 à l’Institut de droit international ce projet de résolution : « Les nations orientales ou, pour parler d’une manière plus précise, les nations non chrétiennes, seront admises à la jouissance de tous les droits et soumises à tous les devoirs des nations de l’Occident ou, en d’autres termes, des nations chrétiennes, tels que ces droits et ces devoirs sont définis par le droit international. » Mais il se croyait encore contraint d’admettre une exception à cette règle en proposant d’établir en Orient « des tribunaux mixtes et une procédure spéciale pour le jugement de toutes contestations, d’intérêt public ou privé, dans lesquelles les Américains et les Européens seraient parties. » Les prévisions mêmes de D.-D. Field ont été dépassées, parce qu’il n’avait pu prévoir les merveilleux progrès que le Japon allait accomplir dans l’espace de vingt ans. Le Japon, on le sait, a obtenu la suppression des juridictions consulaires, en conséquence sa pleine souveraineté en matière judiciaire, et, comme l’a si bien dit le vicomte Aoki, « son admission légitime et sans réserve dans la famille des puissances civilisées, » par ses traités du 16 juillet 1894 avec l’Angleterre, du 22 novembre 1894 avec les États-Unis, du 4 avril 1896 avec l’Allemagne, du 4 août 1896 avec la France, etc.[1].

Eclairé par une douloureuse expérience, nous ne croyons pas qu’il y ait lieu d’apporter le moindre changement, dans les rapports des puissances civilisées avec la Chine, aux conventions restrictives de 1842, de 1844 et de 1858.

  1. Voyez la brochure du baron A. de Siebold sur l’Accession du Japon au droit des gens européen (traduct. Daguin et Mayer), p. 53 et 54.