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signataires d’un traité sont liés par ses dispositions tant qu’ils n’en sont pas dégagés par la volonté des parties contractantes. C’est la base fondamentale du droit public. Les Chinois, ne pouvant pas dénier leur signature, ne contestent pas ce principe ; mais, toutes les fois qu’ils trouvent un avantage à le méconnaître, ils l’éludent.

Un de leurs procédés habituels consiste à soutenir que le gouvernement ne peut pas appliquer certaines clauses d’une convention désagréable aux gouvernés. L’Empereur Kouang-Sou invoque aujourd’hui, pour résister à certaines sommations des puissances, l’indocilité de ses propres soldats. Quand les mandarins de Canton refusèrent avec tant de duplicité d’exécuter les traités de 1842 et de 1844, ils n’ergotèrent pas sur le droit des Européens, mais déclarèrent qu’ils devaient céder à la violence des passions populaires. Le rapport du général Yi-chen à l’Empereur (29 mai 1841) ne laissait d’ailleurs subsister aucun doute sur les intentions des négociateurs chinois : « Votre ministre, se rappelant que la ville (de Canton) a été si souvent inquiétée et mise en danger, a pensé qu’il était convenable de céder momentanément et de promettre aux barbares ce qu’ils demandaient, » tout en se réservant de saisir la première « occasion » de rendre au territoire « son ancienne intégrité. » Quelques années après, dans la guerre contre les Taïpings, les mandarins acquiescèrent à une capitulation qui laissait la vie sauve à toute la population de Sou-tchéou ; à peine entrés dans la ville, ils en massacrèrent vingt mille habitans. Ils ne se gênaient pas plus, à vrai dire, avec leurs propres mercenaires, et crurent faire une bonne affaire en refusant de payer leur solde ; mais ils s’étaient, cette fois, trompés dans leurs calculs, et cette déloyauté leur coûta cher[1]. En vain les traités de 1858 et de 1860 promettaient aux Européens une « pleine et entière protection pour leurs personnes et leurs propriétés. » Un jour, les bateaux d’une grande maison de commerce de Changhaï sont attaqués, et les voleurs, après avoir fait main basse sur 800 000 francs d’espèces ou de marchandises, demeurent impunis ; peu de temps après, d’autres voleurs s’approprient avec le même succès 50 balles de soie, évaluées à 120000 francs, qui appartenaient à une maison anglaise. Dans cette période, à vrai dire, on pouvait alléguer, et l’on ne manquait pas de le faire,

  1. Voyez, dans la Revue du 1er août 1870, l’article de M. Merruau.