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confier à des familles de paysans auxquels on impose d’envoyer leurs propres enfans, garçons et filles, à l’école laïque. On espère ainsi s’assurer de futurs électeurs radicaux, qui ne seront point en peine de trouver des épouses anticléricales.

Cette conjuration contre la bienfaisance privée sous sa forme chrétienne est un des traits les plus caractéristiques de la triste époque que nous traversons. Chose singulière ! cette conjuration va directement à l’encontre d’un état d’esprit qui est également un trait caractéristique de cette même époque et tout à sa louange : je veux dire une sincère préoccupation de soulager la misère et la souffrance humaine. Dans cet art et cette science de la charité (ne renonçons pas à ce vieux mot), le XIXe siècle a réalisé de sérieux progrès. Ces progrès ont apparu aux yeux qui ont pris la peine de les regardera la dernière Exposition. Les galeries où l’assistance publique, la bienfaisance privée, l’économie sociale étalaient le résultat comparatif de leurs efforts, valaient une visite et méritent un souvenir. L’impulsion est donnée ; les exemples abondent, l’expérience a parlé, et, s’il plaît à Dieu, le XXe siècle fera mieux encore que le XIXe. Mais comment ne comprend-on pas que, pour venir à bout, dans la mesure du possible, de l’immense tâche, il n’y aura jamais assez de forces associées, et que, pour une moisson si grande, il faut faire appel aux ouvriers de toutes les heures ; ne pas repousser sans doute ceux de la onzième, mais ne pas mettre de côté ceux de la première ? Catholiques, protestans, israélites, indifférens, on ne sera jamais trop nombreux, ni trop unis. Or, il semble, au contraire, que ceux qui détiennent le pouvoir n’aient qu’une préoccupation, c’est de diviser. Ils n’y ont que trop réussi, et peu s’en faut que ce pays, de mœurs naguère si tolérantes et si douces, au fond plutôt enclin au scepticisme, ne soit, sinon matériellement, du moins moralement livré à toutes les furies des dissensions religieuses. À qui la faute, sinon à ceux qui, les premiers, ont poussé ce cri de guerre civile : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ? » Comme s’il pouvait y avoir pour la France un ennemi ailleurs qu’au-delà de ses frontières ! À ce cri d’autres cris aujourd’hui répondent, qui sentent également la guerre civile, et personne ne le déplore plus que moi. Personne n’est plus profondément convaincu qu’il est aussi maladroit qu’anti-chrétien de répondre aux violences de l’anti-cléricalisme par les grossièretés de l’anti-sémitisme ou de l’anti-protestantisme qui commence à poindre. Mais il faut, sinon