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bornerai à citer ce passage d’un docteur qui fait autorité : « Pour le riche, dit M. l’abbé Girodon dans son Exposé de la Doctrine catholique, l’aumône est l’accomplissement d’un devoir. » Il est tenu de donner non pas à tel ou tel, mais dans une proportion convenable ; il acquitte une dette, rien de plus, tant qu’il ne va pas au-delà. « Les secours publics sont une dette, » disait un décret de la Convention, et il n’y a pas à s’étonner de cette concordance entre gens qu’on pourrait croire séparés par un abîme, ce qu’il y a de vrai, de juste, d’élevé dans les principes de la Révolution française n’étant pas autre chose que l’application de certains préceptes de l’Evangile. Qu’on se place au point de vue de la solidarité ou au point de vue de la charité, on arrive donc à cette conclusion commune qu’il y a un minimum de secours dû aux malheureux. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’assistance obligatoire. Mais obligatoire pour qui, envers qui et par quels procédés ? C’est ici qu’il faut sortir des généralités, et chercher le moyen d’arriver à quelques conclusions pratiques.

Pour qui l’assistance est-elle obligatoire ? Pour la Société. Je dis la Société et non pas l’état, la Société et l’Etat étant à mes yeux choses fort différentes. L’Etat n’est qu’un des rouages et des moyens d’action de la Société ; il en est, si l’on veut, la personnification dans un grand nombre d’actes de la vie générale, mais il n’est pas la Société elle-même. Cette distinction bien établie, je n’hésite pas à penser qu’une société civilisée doit assistance à certaines misères qu’on peut assurément appeler criardes, avec plus de raison encore que certaines dettes. Il est inadmissible que l’enfant abandonné vagisse solitaire, pleurant après sa nourriture. Il est inadmissible que l’individu qui s’est cassé la jambe sur le trottoir y demeure gisant sans qu’il y ait un lieu où, à défaut de domicile, on puisse le conduire et le confier à des gens qui le remettront sur pied. Il est inadmissible que l’infirme ou l’incurable se traîne dans les rues ou sur les routes, étalant d’horribles plaies, jusqu’à ce que la mort par inanition vienne mettre un terme à ses souffrances. Si ce n’était pas une question de charité ou de solidarité, comme on voudra, ce serait une question de voirie et de salubrité. Donc à certaines catégories de misérables un minimum d’assistance est dû ; il y a là une nécessité de fait qui, brutalement, s’impose. Mais par qui cette assistance doit-elle être assurée ? Ici deux écoles sont en présence, absolues, comme toutes les écoles. Il faut mettre leurs théories en regard.