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un intérieur charmant, et beaucoup, beaucoup d’argent, avec une femme aussi distinguée que Lucie est rosse… Car enfin, cette Mme Duvernay, la nièce de Mme Muriel, si je voulais !… Et, ma foi, je crois que je vais vouloir… — Oui ; ce fut la raison déterminante de mon départ, à moi, pour Hyères, ce propos-là. Un irrésistible besoin de savoir ce qui en était au juste de ses relations avec Éveline et de ses chances de succès, m’a fait prendre le train hier soir, après beaucoup d’hésitation, et me voici.

Je passai une partie de la nuit de mon arrivée à la fenêtre de ma chambre d’hôtel, à regarder l’horizon de la plaine qui sépare Hyères de la mer, les phares tournans là-bas sur les îles, les allées de palmiers éclairées par la lune, la palpitation des larges étoiles. Je ne pouvais dormir. Le scrupule de manquer à l’ancienne promesse luttait en moi de nouveau contre l’envahissement de ce mirage mystique, contre cette folle illusion d’une influence d’outre-tombe, m’invitant, m’inclinant à préserver d’un mariage détestable l’enfant de la morte. Comme si je pouvais quoi que ce soit sur la destinée d’une jeune fille pour qui je ne saurais être qu’une connaissance de ville d’eaux ! Non. Je sais bien que ce n’est là qu’un sophisme, qu’un prétexte. Si je suis venu dans la même ville que la fille d’Antoinette, ç’a été simplement par une irrésistible curiosité de voir ce qu’Éveline avait de sa mère. Mon vrai, mon profond désir, ç’a été de me procurer encore une sensation d’Antoinette, à propos de cette enfant qui lui tenait de si près. Je ne soupçonnais pas quel choc je me préparais à recevoir. Je savais que j’en aurais un, et j’en avais presque un appétit physique. C’est bien pour cela que le scrupule continuait de me tourmenter encore ce matin, lorsque, m’étant enquis de l’adresse de Mme Muriel, je m’acheminai vers le quartier de Costebelle, où l’on m’avait dit qu’était la villa des Cystes. Il faut une petite demi-heure pour gagner d’Hyères cette colline au joli nom toute boisée de pins d’Alep et que domine le blanc clocher d’une église dédiée à une Notre-Dame de Consolation. Tout le long de la route, de place en place, se dressent de modestes édicules, fermés d’une grille, où s’abrite dans sa niche une statuette, ici de Madone, là d’un saint Roch, ailleurs d’un saint Joseph. Ils marquent les étapes d’un pèlerinage, et la naïve dévotion des femmes de ce pays de fleurs pare ces niches de bouquets toujours renouvelés. Dans la disposition d’esprit où je me trouvais, ce gracieux sym-