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LE FANTÔME.

agréables, et sur ce ton-là, — il l’avait imité, — on est mûr pour épouser… Tenez, continua-t-il, en avisant un journal de saison sur la table, parions-nous un dîner à Monte-Carlo, avec Malclerc et Lucie, que je trouve le nom de la future Mme de Montchal ?

— Eh bien ! essayez… dit celui-ci. Et voilà Jacques qui cherche dans ce journal la rubrique : Hyères, et qui commence de lire une longue liste de dames et de demoiselles installées dans les hôtels ou les villas ; et, à chaque fois, le petit de Montchal répondait, suivant le cas : « inconnue, » « jeune » ou « vieille, » — « pas mal » ou « affreuse, » jusqu’à un moment où le liseur appela un nom qui me fit m’intéresser tout d’un coup à ce cocasse examen : « Comtesse Édouard Muriel et famille. Villa des Cystes. » — « Cinquante ans, » répliqua Montchal. Il me semble que de nouveau un rien de rougeur lui était venu aux joues. « Oui, » insista l’autre, mais « la famille ? » — « Quatre filles et une nièce. »

— « Et les filles ? » — « Pas trop mal. » — « Et la nièce ? »

— « Très jolie. » Encore un rien de rougeur, mais la voix était restée calme. Si calme, que Jacques continua son interrogatoire sans s’être aperçu de rien jusqu’à un moment où il jeta la feuille en disant : — J’ai perdu mon pari. Quand voulez-vous dîner ?

— Quand vous voudrez, répondit Montchal.

— Pourquoi pas ce soir ? dis-je à mon tour.

— Va pour ce soir, reprit le jeune homme. Lucie est libre justement.

— Je te croyais engagé chez Mme Osinine, me dit Jacques quand nous fûmes seuls.

— Je me dégagerai, voilà tout, répondis-je. Lucie nous aurait peut-être manqué un autre jour, et elle est si agréable à regarder ! Tu en sais quelque chose… — Comment aurais-je donné à ce camarade de club, qui ne connaît rien de ma vie secrète, la véritable raison ? Cette indéfinissable gêne, surprise sur le visage de Montchal, quand le nom de la comtesse Muriel avait été prononcé, pouvait venir de ce qu’il pense vaguement à épouser une des filles de cette dame. Ce pouvait être aussi qu’il pense à épouser la nièce. Et cette nièce, j’ai toutes les raisons de croire que c’est la fille d’Antoinette. Que Mme Édouard Muriel soit sa belle-sœur, je le sais. Je sais aussi qu’Éveline, l’enfant de mon amie, lui a été confiée après la mort de la mère. Je sais que cette enfant vit, qu’elle doit avoir vingt ans, et rien de plus. C’est la logique de la volonté d’Antoinette que mon ignorance totale à ce sujet. C’est