Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/746

Cette page a été validée par deux contributeurs.
742
REVUE DES DEUX MONDES.

dant, lorsque nous voyons entrer un de nos camarades de l’Agricole, le petit René de Montchal, que nous savions installé à Hyères avec sa mère.

— J’en arrive, répond-il à notre question, et j’y retourne la semaine prochaine. Je suis venu me dégourdir un peu, et puis Lucie Tardif a quelques jours à elle, avant l’arrivée d’Abel Mosé… J’ai vu vos noms sur la pancarte du bureau et je suis monté vous serrer la main. Je ne vous dérange pas ?…

Il serait assez joli garçon, ce jeune Montchal, il a des traits fins et un air de race, mais, à vingt-sept ans, la fête l’a déjà tout délavé et fripé physiquement, et, moralement, il est de son temps, le temps des syndicats. Il avait surtout tenu à nous bien faire savoir, à nous ses aînés, qu’il a toujours son dixième de part dans les faveurs d’une des filles les plus cher cotées de Paris.

— Vous voyez bien qu’il n’y a que Nice, lui dit Jacques, je vous avais averti… Cannes, Saint-Raphaël, Hyères, ce n’est pas pour un viveur comme vous, ces vertueuses villes…

— Vous oubliez que je suis en puissance maternelle, interrompit René. D’ailleurs, n’était Lucie, je passerais le temps assez doucement là-bas. Il y a une bonne partie de poker au cercle, et quelques maisons vraiment très agréables… Je vis passer dans les yeux de Jacques un certain petit éclair que je connais bien. Je devinai qu’il allait persifler notre cadet. Entre nous, je crois qu’il ne lui pardonne pas Lucie, ou qu’il ne le pardonne pas à Lucie. Il a eu aussi une histoire avec elle, très courte et déjà ancienne, et cela suffit pour expliquer qu’à cinquante ans qu’il aura bientôt, il n’aime pas beaucoup ses tout jeunes successeurs. Il ne serait sans doute pas fâché de mettre la discorde dans ce faux ménage, — ou faux dixième de ménage, mais les syndicats n’empêchent pas les scènes. — Toujours est-il que, se tournant vers moi, il me dit avec une gravité comique :

— Étienne, regarde bien ce garçon-là. Je ne lui donne pas six mois pour avoir fait la grande gaffe. C’est du mariage que je parle, traduisit-il.

— Moi ! Quelle idée !… s’écria Montchal. Il eut une toute petite rougeur sur ses joues, mais si légère, et il ajouta : Et Lucie ?

— Lueur mourante de célibat, — reprit Brèves ; mais, quand on est de la grande tradition de Caderousse, — c’était une de ses plaisanteries de donner à ce pauvre René le surnom de ce célèbre élégant, — et qu’on parle de maisons vraiment très