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LE FANTÔME.

— Voilà tout ce qu’il vous a dit ?… reprit Éveline, mais, vous-même, que pensez-vous ?

— Ce que je pense ?… fit d’Andiguier. C’est d’abord qu’il n’y a aucune raison pour que cette explication ne soit pas la vraie. Mais, quand il s’agit de choses qui intéressent deux existences, bientôt trois, — et il attira la jeune femme contre lui, et lui mit un baiser sur le front, — il faut avoir un peu de patience, avant d’arriver à une conclusion définitive. Ce qu’il y a de certain, c’est que vous avez traversé, l’un vis-à-vis de l’autre, une période très douloureuse, qui ne doit pas continuer et, — il souligna ces quatre mots par l’accent dont il les prononça : — elle ne continuera pas. Fais ce que je t’ai dit. Rentre chez toi. Sois avec ton mari comme s’il ne s’était rien passé. Maintenant que je suis entre vous deux, que tu m’as parlé et qu’il m’a parlé, tu es toujours sûre d’avoir un appui, et que ces silences dont tu as tant souffert ne se reproduiront plus. Si ton mari a été sincère, et je te répète que je crois qu’il l’a été, ces états nerveux sont une épreuve à supporter, une épreuve très pénible. Il y en a de pires, ma pauvre petite… Aie confiance en moi, conclut-il, et souviens-toi que tu vas être mère, et que toutes tes émotions de ces temps-ci auront leur contre-coup dans ton enfant…

Il avait, en lui parlant ainsi, gardé la tête d’Éveline appuyée contre son épaule, de manière qu’elle ne pût pas voir ses yeux. Il redoutait trop une perspicacité, qui se révéla, même à l’instant où la jeune femme lui accordait cette confiance et cette soumission qu’il demandait. Car elle n’essaya pas de discuter davantage. Elle rajusta la mante qui lui servait à dissimuler la lourdeur de sa taille, et elle se prépara à rentrer, comme il l’en priait, en disant : — Je vous obéirai. Je m’efforcerai d’être calme et de ne pas revenir sur ce qui s’est passé, puisque vous croyez que c’est mieux… Mais, avant de partir, il lui fut impossible de ne pas s’arrêter devant d’Andiguier, et de ne pas l’interroger encore une fois d’une voix profonde : — Vous ne cachez rien, au moins ?… et elle répéta : — Vous ne me cachez rien ? Songez que maman nous voit… Puis, tout de suite, comme le vieillard joignait les mains à ces mots, avec un véritable geste de détresse, elle se repentit du doute qu’elle venait d’exprimer. Elle regretta cette évocation de la morte, pour qui elle savait le culte de son ami, et elle dit : Pardon, si je vous ai peiné. Vous avez été si bon, si bon, si loyal ! Et vous ne me tromperiez pas.