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colonies d’Amérique, — n’en a pas fait ce que peut-être nous n’en aurions su faire ; et nous aurons toujours aux Canadiens français une juste reconnaissance du souvenir qu’ils ont gardé de la France. J’ai dit plus haut quelques mots de « l’uniformité des villes américaines » : au contraire il n’y a guère en France de ville dont la physionomie soit plus française que Québec, moins américaine ou moins anglaise, et Montréal m’a rappelé Bordeaux. D’un autre côté, il n’est pas douteux qu’à Montréal, comme à Québec et comme ailleurs, partout où nous retrouvons un centre de culture française, nous serions à la fois très ingrats et très maladroits si nous ne faisions pas tous nos efforts pour l’entretenir et pour le développer. Nous le serions surtout dans l’Amérique du Nord, où il s’en rencontre si peu ! Mais de savoir, après cela, quand les Canadiens français, par milliers, s’établissent aux États-Unis, s’il est de notre intérêt, je veux dire s’il importe à notre influence qu’ils s’absorbent dans l’Union ou qu’ils conservent une sorte d’autonomie, j’en serais bien empêché pour ma part ; et eux-mêmes partagent-ils tous en ce point les opinions de M. de Nevers ?

Je me garderai donc, encore une fois, d’intervenir dans la question. Mais ce que je puis pourtant dire, et ce qui me ramène moi-même au centre de mon sujet, c’est que je ne sais si l’on se fait une idée bien juste des conditions de l’influence d’une race ou d’une religion. Nous avons aujourd’hui la superstition du nombre, et, assurément, le nombre est quelque chose, mais il n’est cependant pas tout. Voilà plus d’un an que dure la guerre du Transvaal, et qui peut dire qu’elle soit terminée ? Mais c’est surtout quand il s’agit d’influence intellectuelle ou morale que le rayonnement d’un foyer dépend de l’intensité de sa flamme ; et c’est pourquoi, en Amérique ou ailleurs, si nous voulons que la langue et l’esprit français se répandent, ne nous préoccupons pas tant des moyens de les répandre au dehors que de les maintenir eux-mêmes, et en France, dans le sens de leurs traditions. La tradition française a ceci de particulier qu’il n’y en a pas de plus nationale, en raison de notre formation historique, ni de plus universelle à la fois, en raison de notre situation géographique. Tout ce que la France a fait de grand dans le monde est français, pour ainsi dire, de son caractère même d’universalité. Cela est vrai de l’œuvre de nos missionnaires catholiques, et cela est vrai de l’œuvre de la révolution française. Cela est vrai de nos codes, et cela est vrai de